e dos courbé, les
mains plongées dans sa terre, Gulam un vieil afghan de
Kandahar se lève à notre passage. Debout sur son unique
jambe, il nous fait un signe de la main. " Cet
homme a sauté sur une mine il y a un mois. Il a recommencé à
cultiver " explique Dave Edwards, responsable
du déminage pour le sud de l'Afghanistan. Il y a un an
à Kandahar, il y avait un accident par jour. Des
enfants, des agriculteurs, des kutchis, ces nomades qui
sillonnent le pays. Aujourd'hui, grâce au plan de
déminage et à la prévention contre les mines, les
accidents sont plus rares. Mais le risque subsiste. Les
spécialistes estiment à dix millions le nombre de mines
posées en Afghanistan depuis dix-sept ans, sans compter les centaines de
milliers d'obus de mortier qui sont encore intacts et ne
demandent qu'à exploser. Plus de 52 types de mines
jonchent le sol du pays : mines antipersonnel, mines
antigroupe, mine antichar. Certaines sont destinées à
blesser, d'autres à tuer. Kandahar est une des villes
les plus minées d'Afghanistan. Pour défendre la ville,
les soviétiques ont créé deux ceintures de sécurité
à la périphérie. Lors de leur débâcle en 1989, ils
ont à nouveau posé des mines de façon anarchique dans
la ville. Les factions moudjahidins se sont ensuite
entre-tuées dans Kandahar, à coup de roquettes et de
kalashnikovs. Et pour protéger leurs quartiers, ils ont
aussi utilisé des mines, piégeant ainsi les maisons.
L'arrivée par la route à Kandahar plante le décor :
la route est marquée de chaque côté par des pierres
peintes en rouge. Elles délimitent les champs de mines.
Au coeur de la ville qui se reconstruit lentement, des
quartiers entiers, encore complètements détruits, sont
aussi délimités par ces mêmes pierres. La paix est
revenue depuis deux ans à Kandahar, le fief des
talibans, mais les mines sont toujours là. Certes,
grâce à la prévention et au travail des démineurs,
les accidents sont moins fréquents. Depuis un an,
Stanislas Brabant mène ainsi une campagne de
" Mine awarness " (prévention contre
les mines) avec Handicap International. Il a formé six
" nomaindas " (instructeurs) qui
sillonnent la région à moto avec un sac rempli de mines
en bois. Dans chaque village, dans chaque école, dans
chaque mosquée, les nomaindas font passer les mêmes
messages. Nouri tient dans sa main droite une mine PMN2.
Les cinquante gamins assis en tailleur sur des tapis
installés en plein air l'écoutent avec attention. Nouri
pose la mine à quelques mètres d'eux et demande à Ali
de s'en approcher. L'enfant avance, s'arrête net, lève
les deux bras et crie " Il y a une mine, il y a
une mine, ne vous approcher pas. " Puis
doucement, il marche sur ses pas à reculons.
" Nous utilisons le mime pour faire passer les
messages essentiels " souligne Stanislas. En
une année, Handicap International a formé plus de 20
000 personnes sur la région de Kandahar.
En parallèle, plus de trois mille démineurs afghans
travaillent sans relâche pour déminer les zones les
prioritaires. Trois
mille démineurs qui risquent chaque jour leur vie pour
tenter d'en sauver d'autres. Deux cent cinquante d'entre
eux ont déjà été tués ou blessés dans le cadre de
leur travail. A quelques 150 mètres du bazar de
Kandahar, un ensemble de maisons en ruines est désormais
étiqueté " zone numéro 7 ". L'une
des centaines de zones à déminer. Face aux dix
démineurs afghans, le responsable de la section situe le
champ de mine sur un tableau blanc. Sa baguette pointe
d'abord le poste de secours (deux infirmiers et un
médecin) puis le point d'entrée dans la zone. Sur le
schéma, six points rouges se détachent nettement sur
cette zone de 5000 mètres carré : les accidents. Les démineurs travaillent par
paire. Un casque blanc muni d'une visière translucide
constitue leur unique protection. Sidikoula passe le
détecteur de métaux. Trouver les mines est la tâche la
plus délicate. Tendu, le démineur sait qu'un pas de
trop peut être fatal. Il se déplace avec précaution,
au ralenti. A chaque sonnerie de l'appareil, Sidikoula
répète les mêmes opérations, soigneusement codifiées
: il creuse avec une petite pioche, dégage ensuite au
couteau, puis au pinceau. Aucun mouvement brusque,
énormément de concentration. Lorsqu'une mine est
découverte, Sidikoula prévient par talkie-walkie le
responsable. On amène les explosifs, la mine saute : il
aura fallu plus de deux heures pour toute l'opération.
Un travail lent, minutieux, dangereux et répétitif.
Pour les zones plus étendues, une équipe de
démineur de Kandahar utilise des chiens. Ces bergers allemand ont été
entraînés pendant quatre mois à Peshawar, une ville du
nord du Pakistan. Un type de déminage rapide : les
chiens détectent la poudre, et pas les métaux. Une
technique qui peut être vitale, lorsque le détecteur
n'est pas assez puissant pour reconnaître une faible
quantité de métal. Quatre chiens, accompagnés par
leurs maîtres, peuvent déminer de 2000 à 12 000
mètres carré par jour. " Seuls les Talibans
ont une méthode plus rapide, ironise Dave. Ils utilisent
des vieux tanks de l'armée russe, et sillonnent des
terrains entiers, faisant exploser à peu près tout ce
qui se trouve sur leur passage ". Lorsque les
paysans retournent sur leurs terres ainsi déminées,
certains remercient les talibans. Gulam n'en fait pas
partie. Lui n'a pas eu de chance. Il est tombé, comme
tant d'autres, sur l'une des nombreuses mines qui ont
échappé au déminage grossier des talibans.
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