Afghanistan

Kandahar - Le 15 novembre 1996


Pays ruiné, pays miné

En Afghanistan, les différentes parties en présence n'ont pas fait les choses à moitié : bombardements, tirs de roquettes, reprise du territoire à la kalashnikovs. Dans ce pays, les hommes prétendent savoir se battre. L'autre type d'arme largement utilisé par les Soviétiques ou par les nombreuses factions moudjahidins : les mines, de parfaits soldats, " toujours courageux, jamais endormis, jamais pris en défaut " disait un général khmer rouge, autre sacré connaisseur. Peu chères à la fabrication, quelques dix millions de mines ont été posées à travers tout le pays, notamment dans la province de Kandahar. Elles attendent aujourd'hui patiemment d'être déminées. Ou de sauter.

 

e dos courbé, les mains plongées dans sa terre, Gulam un vieil afghan de Kandahar se lève à notre passage. Debout sur son unique jambe, il nous fait un signe de la main. " Cet homme a sauté sur une mine il y a un mois. Il a recommencé à cultiver " explique Dave Edwards, responsable du déminage pour le sud de l'Afghanistan. Il y a un an à Kandahar, il y avait un accident par jour. Des enfants, des agriculteurs, des kutchis, ces nomades qui sillonnent le pays. Aujourd'hui, grâce au plan de déminage et à la prévention contre les mines, les accidents sont plus rares. Mais le risque subsiste.

Les spécialistes estiment à dix millions le nombre de mines posées en Afghanistan depuis dix-sept ans, sans compter les centaines de milliers d'obus de mortier qui sont encore intacts et ne demandent qu'à exploser. Plus de 52 types de mines jonchent le sol du pays : mines antipersonnel, mines antigroupe, mine antichar. Certaines sont destinées à blesser, d'autres à tuer. Kandahar est une des villes les plus minées d'Afghanistan. Pour défendre la ville, les soviétiques ont créé deux ceintures de sécurité à la périphérie. Lors de leur débâcle en 1989, ils ont à nouveau posé des mines de façon anarchique dans la ville. Les factions moudjahidins se sont ensuite entre-tuées dans Kandahar, à coup de roquettes et de kalashnikovs. Et pour protéger leurs quartiers, ils ont aussi utilisé des mines, piégeant ainsi les maisons.

L'arrivée par la route à Kandahar plante le décor : la route est marquée de chaque côté par des pierres peintes en rouge. Elles délimitent les champs de mines. Au coeur de la ville qui se reconstruit lentement, des quartiers entiers, encore complètements détruits, sont aussi délimités par ces mêmes pierres. La paix est revenue depuis deux ans à Kandahar, le fief des talibans, mais les mines sont toujours là. Certes, grâce à la prévention et au travail des démineurs, les accidents sont moins fréquents. Depuis un an, Stanislas Brabant mène ainsi une campagne de " Mine awarness " (prévention contre les mines) avec Handicap International. Il a formé six " nomaindas " (instructeurs) qui sillonnent la région à moto avec un sac rempli de mines en bois. Dans chaque village, dans chaque école, dans chaque mosquée, les nomaindas font passer les mêmes messages. Nouri tient dans sa main droite une mine PMN2. Les cinquante gamins assis en tailleur sur des tapis installés en plein air l'écoutent avec attention. Nouri pose la mine à quelques mètres d'eux et demande à Ali de s'en approcher. L'enfant avance, s'arrête net, lève les deux bras et crie " Il y a une mine, il y a une mine, ne vous approcher pas. " Puis doucement, il marche sur ses pas à reculons. " Nous utilisons le mime pour faire passer les messages essentiels " souligne Stanislas. En une année, Handicap International a formé plus de 20 000 personnes sur la région de Kandahar.

En parallèle, plus de trois mille démineurs afghans travaillent sans relâche pour déminer les zones les prioritaires. Trois mille démineurs qui risquent chaque jour leur vie pour tenter d'en sauver d'autres. Deux cent cinquante d'entre eux ont déjà été tués ou blessés dans le cadre de leur travail. A quelques 150 mètres du bazar de Kandahar, un ensemble de maisons en ruines est désormais étiqueté " zone numéro 7 ". L'une des centaines de zones à déminer. Face aux dix démineurs afghans, le responsable de la section situe le champ de mine sur un tableau blanc. Sa baguette pointe d'abord le poste de secours (deux infirmiers et un médecin) puis le point d'entrée dans la zone. Sur le schéma, six points rouges se détachent nettement sur cette zone de 5000 mètres carré : les accidents. Les démineurs travaillent par paire. Un casque blanc muni d'une visière translucide constitue leur unique protection. Sidikoula passe le détecteur de métaux. Trouver les mines est la tâche la plus délicate. Tendu, le démineur sait qu'un pas de trop peut être fatal. Il se déplace avec précaution, au ralenti. A chaque sonnerie de l'appareil, Sidikoula répète les mêmes opérations, soigneusement codifiées : il creuse avec une petite pioche, dégage ensuite au couteau, puis au pinceau. Aucun mouvement brusque, énormément de concentration. Lorsqu'une mine est découverte, Sidikoula prévient par talkie-walkie le responsable. On amène les explosifs, la mine saute : il aura fallu plus de deux heures pour toute l'opération. Un travail lent, minutieux, dangereux et répétitif.

Pour les zones plus étendues, une équipe de démineur de Kandahar utilise des chiens. Ces bergers allemand ont été entraînés pendant quatre mois à Peshawar, une ville du nord du Pakistan. Un type de déminage rapide : les chiens détectent la poudre, et pas les métaux. Une technique qui peut être vitale, lorsque le détecteur n'est pas assez puissant pour reconnaître une faible quantité de métal. Quatre chiens, accompagnés par leurs maîtres, peuvent déminer de 2000 à 12 000 mètres carré par jour. " Seuls les Talibans ont une méthode plus rapide, ironise Dave. Ils utilisent des vieux tanks de l'armée russe, et sillonnent des terrains entiers, faisant exploser à peu près tout ce qui se trouve sur leur passage ". Lorsque les paysans retournent sur leurs terres ainsi déminées, certains remercient les talibans. Gulam n'en fait pas partie. Lui n'a pas eu de chance. Il est tombé, comme tant d'autres, sur l'une des nombreuses mines qui ont échappé au déminage grossier des talibans.


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