Terminus Hong Kong

Hong Kong, lundi 2 juin 1997, 23h00...


Le dernier tour de piste

C'est dans les bruissements et l'agitation perpétuelle d'une ville magnifique que nous avons achevé le périple. Sous les néons fluos d'une cité qui attend de revenir à la Chine, nous étions aussi sonnés que les habitants. Huit jours pour nous dire qu'un avion allait en, douze petites heures, nous ramener au point de départ d'un voyage qui aura duré neuf mois. Ce dernier carnet de route pour vous dire au revoir et vous remercier d'avoir suivi et soutenu notre projet.

 

ifficile de se préparer au retour. Et impossible pourtant de le gommer de nos têtes. A Hong Kong, à toute heure du jour et de la nuit, les avions gros porteurs rugissent trop fort et viennent effleurer les milliers d'immeubles qui partent gratter le ciel. Chaque bruit de réacteur était un nouvel avertissement. Il fallait profiter de Hong Kong. Vite, très vite. Un petit tour et puis s'en revient. Neuf mois, c'est tellement court. Surtout si l'on veut entre-temps parcourir douze pays d'Asie, se donner le temps de les approcher, de s'en imprégner et peut-être avoir la prétention d'en comprendre un morceau. Les jours coulent toujours plus vite lorsque la fin s'approche. Fin d'un voyage, fin d'un rêve, fin d'un projet que nous avons mis plus d'un an à monter, puis neuf mois à vivre... Comment rêver d'un meilleur port d'embarcation ? Hong Kong, cité folle, cité de la démesure, cité joyeuse et speedée, qui noie dans les bruits des caisses-enregistreuses ses angoisses (ses joies, parfois) de colonie sur le retour.

 

Hong Kong, drôle de mélange d'Asie et d'Occident, confetti extravagant posé aux confins de la Chine du sud, colonie britannique recédée à la mère patrie chinoise. Le port franc fut-il une cité libre sous les Britanniques ? Les pans de libre expression survivront-ils après la rétrocession ? Les avis divergent. A Hong Kong, dans tous les bars, dans toutes les boîtes, dans tous les magasins, les conversations plus ou moins arrosées finissent toujours par aborder le même sujet. La rétrocession... Un mot terriblement technocratique pour un événement qui touche six millions d'habitants. Voire aussi un milliard et deux cent millions de Chinois, comme beaucoup d'observateurs le font remarquer. Beaucoup semblent penser que l'affaire débutera le 1er juillet, date de la "rétrocession". Les habitants, eux, sont conscients que tout cela a déjà commencé. Nouveau gouvernement, nouvelle assemblée, nouvelles lois, nouveaux réglements... Le 30 juin risque de n'être plus qu'une simple formalité.

La Chine a cependant dépensé des fortunes pour que l'événement reste à jamais inscrit au fronton de l'histoire : le plus beau feu d'artifice ("du monde" précisent les prospectus chinois un tantinet euphoriques), un batîment, celui de la "convention" splendide et presque terminé à quelques semaines de la date fatidique... Et même une "rave-party" programmée pour le 28 juin au soir. Dans tous les bars de Hong Kong, on trouve l'affichette rose et verte fluo qui annonce l'événement, majeur. Pour l'occasion, on a même ressorti feu Deng Xiao Ping, joues en feu et regard de braise, qui tend un bras emphatique (et un rien gourmand ) vers Hong Kong. A sa droite, des écolières chinoises en habit de pionnières du communisme sourient à la vie en rose. A sa gauche, le plateau prévu : "Miss Grace Jones, Sound Machine". Et on en passe... Hong Kong prépare son retour à la Chine comme elle semble vivre au jour le jour : le plus extravagant y côtoie le plus triste, le mauvais goût ne prend même pas la peine d'essayer d'imiter le bon, la lumière blafarde des milliers de néons n'ôte rien au clinquant dont aiment à se parer de nombreux habitants...

 

Immense centre commercial ? Cité où seul le fric serait roi ? Mauvais goût de nouveaux riches ? Hong Kong ne compte pas ses détracteurs. Etait-ce l'approche du retour ? La nostalgie inhérente aux belles histoires qui finissent ? Nous avons succombé aux avances de cette ville aguicheuse. Pour son extravagance. Pour ses rues animées jusqu'aux heures les plus tardives. Pour ses paysages urbains, qui comptent parmi les plus beaux du monde. Pour son rentre-dedans. Pour l'éclairage cru que la cité lance sur les convoitises, fussent-elles étatiques ou individuelles. Et à l'heure où le soleil se couche, il est une balade à faire absolument : prendre le "Peak tram", ce tramway relooké qui part coller aux flancs des collines de Hong Kong island, l'île principale, la plus belle aux yeux de ceux qui aiment la folie des urbanistes qui montent sans complexes à l'assaut des nuages. Depuis la terrasse du mont Victoria, Hong Kong s'étale, splendide et impudique. Vue imprenable sur une mer de buildings, sur le royaume de la ligne droite qui pousse sur des rocs recouverts d'une végétation tropicale. Les avions décollent au ras des immeubles, effleurent les montagnes, virent à angle droit pour éviter la collision puis grimpent enfin vers des cieux plus calmes. Le soleil se couche. Le ciel vire au bleu marine, la couleur des âmes qui ont le blues. Demain, nous serons à Paris.


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