L'école en Inde

Quilon - Le 30 janvier 1996


Une réussite éclatante : le Kerala

L'Inde, comme tous les pays en voie de développement, doit faire face à une population très jeune. La scolarisation de tous les petits Indiens, si elle est inscrite dans la Constitution, est particulièrement difficile à atteindre dans un pays qui compte 935 millions d'habitants. Il y a cependant quelques réussites éclatantes, comme dans la province du Kerala, où presque tous les enfants sont scolarisés.

 

La théorie : scolarisation obligatoire jusqu'à 14 ans. Depuis l'indépendance, en 1947, un minimum de huit années de scolarisation est obligatoire en Inde. De six à onze ans, tous les petits Indiens devraient aller à l'école primaire, puis enchaîner sur les « middle schools » (l'équivalent de nos collèges) entre 11 et 14 ans. Des amendes sont prévues pour les parents qui regimberaient. Mais comment contrôler un si vaste territoire, qui comprend en outre des tribus migrantes et des millions d'enfants des rues ? Environ vingt millions d'enfants ne sont toujours pas scolarisés, dont une majorité de filles. Elles ne sont que 42% à fréquenter l'école primaire, contre 70% des garçons (chiffres de l'Unicef, 1995). A l'école secondaire, les taux tombent à 24 et 47%. Lors du sommet « Education for all » organisé à New Delhi en décembre 1993, le Premier ministre indien a une fois de plus réaffirmé la volonté du gouvernement d'oeuvrer en faveur de la scolarisation pour tous. Au programme : une augmentation substantielle des fonds publics allouées à l'éducation avec 6% du PNB d'ici l'an 2000 (contre 3,7% en 1994), la décentralisation des politiques d'éducation, une mobilisation sociale, le combat contre la pauvreté et l'analphabétisme des adultes... En bref, la panoplie classique.
D'importantes disparités régionales. Les taux indiens n'ont pourtant guère de signification, pas plus que les déclarations d'intentions nationales. En effet, chaque état de la fédération indienne affiche des résultats bien distincts. Ce sont d'ailleurs les états qui gèrent les politiques éducatives, bien plus que l'Etat central qui se contente de définir les grands axes. Sept états indiens concentrent 70% de l'analphabétisme (320 millions de personnes). D'autres provinces, comme Goa, le Tamil Nadu ou le Karnataka affichent quant à eux des taux de scolarisation très satisfaisants à l'échelle indienne. La majorité des élèves, filles et garçons, y effectuent réellement les huit années d'école, sans que la moitié abandonnent en cours de route. Ils vont bien en classe cinq jours par semaine et reviennent après les deux mois de vacances d'été (avril-mai). Mais c'est le Kerala qui reporte la palme de l'état le plus scolarisé de toute l'Inde. Les autorités locales se targuent d'une scolarisation à 100%, même si la réalité semble être un tout petit peu en dessous, aux alentours de 90%. Au fil de la région, on ne compte plus les écoles, les collèges et les lycées. Même les coins les plus reculés, comme les « backwaters » (« canaux ») possèdent des établissements scolaires.
Une histoire unique. Pourquoi un tel engouement pour l'éducation ? « Notre histoire est unique en Inde. Nos maharadjas accordaient une importance énorme à la redistribution des richesse et à l'éducation de leurs peuples. Au lieu de gaspiller leur argent dans des palais ou dans des voyages, ils ont notamment créé des établissements scolaires. Les contacts ancestraux que notre province a noué avec les peuples de navigateurs ont ouvert les esprits. De nombreux Keralais partent aujourd'hui travailler à l'étranger, notamment dans les pays du Golfe. Chacun connaît ici quelqu'un qui a désormais une bonne situation à l'étranger. Le chômage est important dans la province et les parents accordent donc une grande importance à l'apprentissage de l'anglais pour que leurs enfants puissent partir s'ils le souhaitent » affirme Susan William, la directrice de la plus grosse école publique de Quilon.
« Les filles surveillent les garçons ». De nombreuses écoles sont privées, montées par des congrégations religieuses (musulmane, catholique ou hindoue). L'école primaire de Mount Carmel, située dans un tout petit village des « backwaters » est ainsi tenue par onze Carmélites et vingt professeurs. L'établissement accueille près de mille enfants de quatre à onze ans. « Les parents, souvent des pêcheurs des villages environnants, font d'énormes sacrifices pour payer les 650 roupies (environ 110 FF) d'admission. Pour eux cela constitue une petite fortune mais ils savent aussi que nous dispensons un enseignement en anglais de bonne qualité. L'éducation est ici considérée comme un moyen d'ascension sociale et cela explique les privations que de nombreux parents endurent pour que leurs enfants bénéficient de la meilleure éducation possible » explique soeur Theresa, la directrice. A Mount Carmel, où les posters du pape et du Christ recouvrent les murs, plus de la moitié des enfants sont hindous : « Les parents ne mettent pas leurs enfants ici pour qu'ils apprennent la religion. Encore une fois, ce sont les conditions d'enseignement qui constituent leurs seules motivations : des classes non bondées, un bon enseignement en anglais, une discipline rigoureuse... » Petits arrangements avec les religions : les enfants non catholiques sont dispensés de l'heure hebdomadaire de catéchisme. Ils apprennent à la place l'éducation civique. Et lorsque l'on s'étonne de la mixité des classes (dans les écoles publiques, filles et garçons sont séparés), soeur Theresa ne se démonte pas : « Les filles sont plus sérieuses que les garçons. Nous les mettons ensemble pour qu'elles les surveillent. Dès qu'un garçon fait une bêtise, une fille vient nous le dire » !!
Trois classes dans la même salle. Dans les écoles publiques de filles et de garçons, la réalité est un peu moins rose. Mais on a vu bien pire. Les immenses salles accueillent parfois trois classes, soit près de deux cents élèves, tous en même temps. Les instits doivent sacrément pousser leurs voix pour couvrir le brouhaha ambiant. Luxe rare dans les pays en voie de développement : chaque élève peut cependant s'asseoir sur un banc et écrire sur une table. On est loin des écoles pakistanaises, où les gamins étaient assis par terre et en plein air. Chacun possède un livre et des cahiers. A l'école « Government girls high school » de Quilon (l'équivalent d'un collège), les filles arrivent à 9h30 le matin, toutes vêtues de leurs uniformes : jupes vertes, rubans dans les cheveux et chemises blanches pour les filles. En face, l'école pour garçons voit défiler un bon millier de garçons, vêtus de shorts et de chemisettes. Tous suivent sept périodes de 40 mn : maths, sciences, éducation civique, mais aussi des cours de langues. Ils apprennent la langue de leur province, le « malayam » et s'enquillent aussi des cours d'hindi et d'anglais, les deux langues officielles d'un pays qui compte des centaines de dialectes. A 12h30, les petits trilingues déjeunent dans la cour, sous l'oeil bienveillant de la statue du Mahatma Gandhi. Chacun sort sa gourde et son casse-croûte, les plus rapides en profitent pour faire une partie de cricket. Une organisation caritative distribue trente repas, qui sont distribués à soixante enfants : « Les portions sont grosses » La directrice veut rassurer... A 13h30, les petits ventres pleins ou à moitié pleins retournent sous les ventilateurs des salles de classe pour les trois périodes de l'après-midi. A 15h30, c'est fini. La plupart marchent jusqu'à la maison. Les enfants de pêcheurs vont chercher le ferry qui les ramènera dans leur village.

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