Iran

Iran - Le 1er novembre 1996


Iran, coeur d'Orient

En arrivant à Téhéran, on le cherche en vain : l'Orient, celui que Pierre Loti a décrit au XIXème siècle avec tant de poésie dans son livre « Vers Ispahan ». Patience. Quelques heures sur une route en folie. La traversée de quelques déserts de sable et de sel. Le soleil plombé de quelques villages-oasis. Et soudain, le voilà, ni mirage, ni fantasme : l'Orient.

ui veut venir avec moi voir à Ispahan la saison des roses se prépare à de longues marches, au brûlant soleil, dans le vent âpre et froid des altitudes extrêmes, à travers ces plateaux d'Asie, les plus élevés et les plus vastes du monde, qui furent le berceau des humanités, mais sont devenus aujourd'hui des déserts » : à trop lire Pierre Loti, fol explorateur du dix-neuvième siècle et écrivain poète, on débarque à Téhéran en exigeant les senteurs épicées, les bazars sombres, les déserts aux portes desquels habitaient jadis les maîtres du monde et les jardins de roses embaumées. L'aéroport à lui seul est une énorme escroquerie : brouillard de pollution et avenues genre banlieue de Moscou... Où sont-ils donc les caravansérails tapissés de céramiques plus bleues que le ciel, les palmiers censés abriter les voyageurs du soleil de plomb, les dromadaires aux cris rauques qui devraient nous réveiller la nuit ? De la modernité, Téhéran en recèle. De l'Orient, point. Il faudra s'éloigner, quitter l'atmosphère polluée de la capitale, longer une autoroute en folie et zigzaguer entre les camions surchargés à en perdre leurs cargaisons, pour enfin apercevoir un bout de l'Iran tant rêvé : un morceau de désert de sable, ocre et blanc, âpre et tellement inhospitalier. La route sera désormais toujours la même : droite, brûlante, offrant ses montagnes et ses déserts à toutes les heures du jour. Du rose bleuté des levers de soleil aux violines pastels des jours qui s'éteignent... Au hasard de la route, toujours droite, jamais monotone : une cité abandonnée creusée dans la pierre d'une falaise, un mausolée de céramique bleue qui éclate au milieu de l'ocre terne d'un désert de sable, une vallée qui abrite de petits arbres ronds, festival de jaunes, d'ors, de rouges, couleurs d'automne iranien sous un lourd soleil de novembre. Des vendeurs de grenades, de figues séchées, de coings. Des villages de torchis. Des restaurants de route où les guêpes se ruent avant les clients sur la viande. Des enfants, cartables au dos, voiles pour les fillettes, qui rentrent de l'école à l'heure où le soleil couchant habille de teintes violacées les montagnes des alentours...

Douceur de vivre d'Ispahan

Quelques heures de plus, pour dépasser Qom, la sainte ville du chi'isme et ses adorateurs de dieu, et enfin arriver dans l'une des perles d'Orient : Ispahan. Jadis capitale impériale du Chah Abbas, fondateur de la dynastie des Abassides, régnant sur l'empire perse et qui fit de cette ville l'un des trésors de l'architecture du XVIIe siècle, une ville malgré tout abandonnée des siècles durant à sa splendeur fanée... Ispahan, trois millions d'habitants aujourd'hui, des mosquées toujours plus bleues que le ciel autour, que Pierre Loti décrivait comme « des bleus lumineux et profonds, presque surnaturels, qui dans le lointain, font ressembler à des blocs de pierres précieuses les coupoles des vieilles mosquées ». La mosquée du vendredi constitue ainsi le véritable trésor d'Ispahan : les émaux chamarrés, diaprés, jaunes, verts, parfois quelques rouges et toujours tant de bleus, recouvrent entièrement la brique. La cour, l'ogive des quatre iwans, les deux minarets de soixante mètres de haut, le dôme... Chaque mur est recouvert, donnant une impression de richesse et de fantaisie sur une architecture pourtant si sévère et si roide. Au milieu coule une fontaine tranquille. A Ispahan toujours, sept ponts enjambent une rivière où les étudiants, les familles et les vieux Ispahanis viennent goûter une douceur de vivre unique en république islamique d'Iran. Une place impériale longue de plusieurs centaines de mètres, bordées par des arcades sous lesquelles résonnent les travaux des artisans de la ville. Ferronniers, peintres de miniatures, bijoutiers, graveurs sur cuivre... Une petite porte dérobée, de petits escaliers, et voilà improvisée une escapade sur les toits ronds du bazar, où les teinturiers sèchent les tapis de prière au soleil. Un peu plus loin, dans le quartier arménien de Djolfa, une cathédrale émouvante, avec son architecture ronde de mosquée, sa pierre ocre des régions du sud, et tout en haut, sa petite croix discrète qui ose à peine briller au soleil. On pousse la porte, et soudain, c'est une odeur de cierge qui prend à la gorge. On lève la tête, et ce sont les lourdes fresques des églises orthodoxes que l'on devine dans la pénombre.

Une clé à molette pour un tombeau

Ispahan se quitte à regrets. A trop explorer ses bazars, ses berges, ses ruelles, ses parcs et ses allées de roses, on trouve toujours plus à flâner, à paresser, à pique-niquer, à admirer. Il faudra bien reprendre la route. A nouveau droite, à nouveau longue, à nouveau oscillant entre déserts et montagnes, à travers les hauts plateaux d'Asie, steppes arides perchées à 1500 mètres d'altitude. Toujours plus de sécheresse. Les maisons des villages sont de plus en plus simples, petits carrés en terre percés d'une porte et d'une fenêtre. On croise des familles nomades, venues récolter le coton ou les tomates au fil des plantations qui longent la route. Puis on arrive enfin à Pasargades, vaste plaine désolée, où poussent encore vers le ciel quelques colonnes branlantes aux chapiteaux rongés par deux mille cinq cents années de vents et de pluies, vaste plaine désolée devenue le tombeau du fondateur de l'empire perse, Cyrus le Grand « Roi des rois ». Plus loin, creusés à même une falaise, quatre tombeaux des successeurs de la dynastie des Achéménides. Et enfin, perle des perles archéologiques, Persépolis. Une immense plate-forme perchée à dix mètres du sol. Des ruines de petits palais. Treize colonnes de vingt mètres de haut toujours debout. Pas une de plus. Un escalier monumental, où depuis 2500 ans, rois et simples passants ont usé la pierre couleur silex. Des fresques taillées dans la pierre représentent l'armée de Cyrus et de ses descendants, « armée des dix mille », réputée immortelle, au sein de laquelle tout homme tombé était immédiatement remplacé. C'est avec cette armée que les rois achéménides ont pû bâtir leur empire, de l'Afrique, à l'Inde, en passant par l'Asie centrale, six siècles avant notre ère. Cyrus a fait construire Persépolis afin d'y recevoir les envoyés de ses 23 Etats vassaux et témoigner ainsi avec magnificence de la puissance de son empire. Un gardien, tellement fier de travailler sur ce lieu encombré d'histoire et tellement surpris de rencontrer deux Français venus d'eux-mêmes à Persépolis, nous ouvre le tombeau d'Artaxerxès III. Une clé à molette, deux barreaux dévissés, et nous voilà dans le saint des saints, frigorifiés par la pierre glacée et par la vraie majesté du lieu, creusé dans la falaise et préservé par les siècles.

Vers un monde de déserts

Chiraz pointe ensuite le bout de ses banlieues, entourant un gigantesque site pétro-chimique. Fumées industrielles, rivière asséchée, longues avenues tristes... Chiraz vit sur une réputation qui ne se justifie plus de premier abord. Préfiguration (ou réminiscence) d'un tourisme de masse qui n'épargnera pas longtemps l'Iran, tout se paie ici. Les tombeaux d'Hafiz et de Saadi, poètes chéris des Iraniens, les petits parcs adorables, les musées tranquilles... Les prix sont multipliés par dix pour les touristes étrangers. Les hôtels exigent des dollars, monnaie d'une Amérique pourtant officiellement tant décriée. Uniquement quelques parcs et les ruelles blanches qui entourent le bazar gardent encore l'atmosphère tranquille que seules savent créer les villes orientales. Et aux portes de Chiraz, on retrouve le désert. Encore. Toujours. Les premiers dromadaires paissent quelques touffes d'herbe sèche. Les villages sont de plus en plus espacés. L'Orient des céramiques, des émaux, des pierreries, des tombeaux, des riches bazars, des parcs de roses, des petits déjeuners pris sur la route, entre le clapotis d'une source et trois arbres touffus, cet Orient-là cède doucement la place à un monde de déserts. La route s'éloigne. Pierre Loti, voici un siècle, a pris la même : « De tout ce que nous avons vu d'étrange pour nos yeux, ceci nous restera le plus longtemps : une ville en ruines qui est là-haut dans une oasis de fleurs blanches. Une ville de terre et d'émail bleu, qui tombe en poussière sous ses platanes de trois cents ans. Des palais de mosaïques et d'exquises faïences, qui s'émiettent sans recours, au bruit endormeur d'innombrables petits ruisseaux clairs, au chant continuel des muezzins et des oiseaux ».


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