Iran

Bam - Iran - Le 1er novembre 1996


Little big Bam

C'est une toute petite ville perdue au fond d'un désert de grosses pierres grises. Une petite cité de douze mille habitants, petit point insignifiant sur une carte routière. Trois hôtels, un restaurant, un bazar bétonné, des femmes accrochées à leurs tchadors... Petit point insignifiant et inaccueillant, si ce n'étaient des palmeraies verdoyantes et nourricières à l'abri de hautes montagnes. Et une cité morte de terre ocre, leçon d'histoire à l'iranienne.

am. Trois lettres sans poésie pour une petite ville aux allures de Far-West, située au fin fond de l'Iran du sud-est. Une petite ville de douze mille habitants, poussiéreuse, balayée par les vents du désert tout proche. Un bazar morne et gris, mal achalandé, aux ruelles un rien inquiétantes. Des têtes qui se dévissent à trop dévisager les étrangers qui s'aventurent dans la petite cité morne. Des cafards courant sur trois planches de bois qu'un jeune à tête de fouine a décidé d'appeler lit et de louer aux étrangers sous la dénomination « hôtel »... Une énorme mouche bleue morte d'ennui, qui s'est apparemment suicidée en sautant dans une bouteille de cola servie par le seul restaurant de la ville... Des taxis défoncés et introuvables au plus fort de la chaleur... A Little Bam, la curiosité se paie cher. Et il faudra au moins passer par quelques heures de désespoir et de cafard avant de pouvoir découvrir Big Bam. Il faut imaginer la petite ville et ses hauts murs monotones. Comme toutes les villes iraniennes, les habitants se protègent avec force de murs en briques et portes en fer, derrière lesquels se joue toute la vie de la cité. Dans ces cours fermées, les femmes ôtent certainement leurs tchadors. On perçoit parfois depuis la rue des rires et des chants : un mariage peut-être, ou quelqu'autre fête familiale, des enfants qui crient et jouent, des hommes qui rient bruyamment. En toute sécurité. En secret. L'étranger n'est pas convié. A peine une silhouette s'est-elle glissée dans la rue que les lourdes portes de fer se referment dans un bruit caverneux. Derrière ces murs ocres ou gris, parfois percés de quelques meurtrières étroites, on devine aussi une nature verdoyante et généreuse. En pleine ville émergent des branches élancées, chargées de longues feuilles vertes et coupantes, égayées par de larges bouquets oranges : les régimes de dattes et les dizaines de milliers de palmiers de la cité, culture vivrière dont dépendent plus d'un millier de fermiers et leurs familles. Parfois, les lourdes portes s'entrouvrent. Un fermier consent à faire visiter son verger, où les palmiers cinquantenaires finissent de donner leurs dernières dattes.

Deux cents kilos de dattes par arbre

« Mes deux belles-filles m'aident dans ce verger. Je ne suis plus tout jeune, maintenant, j'ai besoin d'aide. ». Hossein a cinquante ans, les mains brunes et larges des travailleurs de la terre, les rides et les regards plissés de ceux qui ont tant travaillé sous le soleil. Sa vie, c'est sa palmeraie : « Deux mille palmiers poussent ici. J'ai deux autres plantations à l'extérieur de la ville que mes deux fils surveillent », explique t-il encore, en tendant quelques dattes mûries tardivement. Ici, c'est au plus fort de l'été que les palmiers donnent leur richesse : « Deux cents kilos par arbre, au mieux. Et il faut attendre vingt années avant qu'un palmier donne ses meilleures dattes ». Les fermiers auront d'abord creusé de longs tunnels pour rejoindre les sources d'eau en sous-sol, organisé un complexe système d'irrigation, et choisi les meilleures pousses de palmiers. En été, les hommes grimperont enfin aux arbres à l'aide de grosses ceintures de corde tressée, puis secoueront les palmiers. En bas, femmes et enfants ramasseront. La coopérative prendra le relais, conservant les milliers de tonnes de dattes dans d'immenses frigidaires, et les écoulant toute l'année sur le marché iranien. Parfois à l'exportation, vers les pays arabes. Pour envisager d'un seul regard les hectares de verdures cachés derrière les murs de la ville et ainsi réaliser l'étendue de la production dattière de Little Big Bam, il faudra grimper sur les longs et hauts remparts de la vieille citadelle. Une ville morte incroyable, aux milliers de maisons de briques et de torchis, délaissées par des habitants qui s'y trouvaient trop à l'étroit voilà 138 ans. Petit Pompéi à l'iranienne, s'élevant aux limites sud de la ville, à peine abîmé par un siècle de pluie hivernales et les tremblements de terre qui frappent régulièrement la région. Au fil des ruelles ocres, on reconnaît le bazar, la mosquée, la salle des gardes, les étables de chevaux... Solitude. Pas un bruit, si ce n'est les battements d'ailes de quelque pigeon affolé. Pas un touriste, si ce n'est une famille iranienne venue de la campagne pour profiter des points de vue qu'offre la vieille cité sur la ville, le désert et les plantations. Pas un garde, si ce n'est un vieil homme en chemise blanche et pantalon gris, plus intéressé par la vie de la cité moderne en contrebas que par les rares visiteurs.

De lourdes mitrailleuses à l'ombre des tourelles

A Little Big Bam, à chacun ses occupations. Explorateurs de cité morte. Pionniers des siècles passés. Fermiers des palmeraies. Indolence des cités du désert, indifférence des travailleurs fatigués, inconfort des petites villes oubliées. A Little Big Bam, on arrive avec difficulté. Et on repart difficilement. Car il faudra laisser derrière soi la fraîcheur de quelque source, les morceaux de poteries antiques et bleues dont regorgent les ruelles de la cité morte, les palmeraies et les lourdes dattes, les rivières asséchées et les histoires de banditisme et de drogue qu'aiment à se raconter les habitants... Little Big Bam, dernière étape en Iran. Il faudra ensuite se lancer à nouveau dans le désert, pour rejoindre Zahedan, une ville frontière à la réputation de soufre, une ville desséchée par les vents et la poussière, surpeuplée par les flots de réfugiés afghans des dernières années. Quatre cents kilomètres sur une route toute droite, entrecoupée par les checks-points de l'armée, les commissariats aux allures de camps retranchés, avec parfois de lourdes mitrailleuses qui pointent sous les tourelles... Car ici, ce n'est plus la culture des dattes qui fait vivre la région, située aux portes du Pakistan et de l'Afghanistan. Derrière ces « montagnes noires », c'est la drogue, bien plus lucrative, qui s'essaie à passer les frontières, malgré une présence militaire impressionnante. Les soldats aiment à parader à l'arrière de camionnettes décapotées, mitraillettes au poing, poitrails à l'air, rangers à peine lacés... A quelques kilomètres de Bam commence donc le Baluchistan. Une toute autre région, de tout autres moeurs.


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