A l'école de l'Iran

Iran - Le 1er novembre 1996


Durant les vingt-cinq jours de notre séjour en Iran, nous n'avons pu visiter que trois écoles. Se rendre dans un établissement scolaire de la République Islamique d'Iran implique l'obtention d'une autorisation du Ministère de la Guidance Islamique, ministère chargé entre autre de faciliter et de contrôler le travail des journalistes. Toujours accompagnés de fonctionnaires de ce ministère, nous nous sommes rendus dans une école secondaire privée pour garçons à Téhéran et dans deux écoles primaires à Ispahan, une ville du centre du pays.

Quelques données générales.

La révolution islamique de 1979 marque un tournant dans l'évolution du système éducatif iranien. Une des priorités du nouveau régime a été d'amener tous les enfants iraniens sur le chemin de l'école primaire, obligatoire et gratuite. Dix sept ans après les premières mesures, les statistiques résument clairement cette évolution : le taux de scolarisation primaire des filles est passé de 28 % en 1979 à 93 % aujourd'hui. Les garçons, scolarisés à 59% en 1979, le sont aujourd'hui à 98%. L'Unicef, basé à Téhéran, est la première à reconnaître l'important travail en matière d'éducation qui a été fourni par le régime des Mollahs : un cinquième du budget national iranien est désormais consacré à l'éducation, plusieurs milliers de nouvelles écoles ont été construites, des aides spécifiques ont été débloquées pour les familles les plus démunies. Les fournitures scolaires sont largement subventionnées : pour 9.200 rials (15 frans), chaque enfant achète pour l'année ses livres de classe, dix cahiers, dix crayons et une gomme.

Aujourd'hui, plus de dix millions d'enfants sont scolarisés.Un pari qui semblait bien difficile à tenir dans un pays à la croissance démographique importante, où plus de la moitié de la population a moins de quinze ans. Et contrairement aux idées reçues, la plupart des filles vont bien à l'école en Iran. Certes, elles portent la cagoule islamique dès six ans. Certes, l'école n'est pas mixte et les cours sont uniquement dispensés par des femmes drapées de noir. Reste que la République islamique d'Iran peut se targuer -et elle ne s'en prive d'ailleurs pas- d'enregistrer parmi les plus hauts taux de scolarisation féminin du Moyen-Orient, et d'une manière générale, du monde islamique. « Le Coran ne fait aucune différence entre filles et garçons pour ce qui est de l'éducation » annonce, sourire en coin, Jhasm Salmani, responsable de l'éducation primaire pour la province d'Ispahan, au centre du pays. Aucune différence, ou si peu : juste un voile et de hauts murs d'enceinte pour protéger des regards masculins... Mais paradoxalement, ce sont bien ces différences qui ont joué en faveur de la scolarisation des fillettes iraniennes, notamment dans les milieux ruraux, plus traditionalistes, qui refusaient jusqu'alors d'envoyer leurs filles dans des écoles non conformes aux principes de l'Islam.

Si l'objectif de quantité a été atteint, il reste aujourd'hui à satisfaire l'exigence de qualité de l'éducation apportée. Les écoles sont surchargées, organisant parfois jusqu'à trois services par jour. De nouvelles écoles doivent donc être construites dans les prochaines années. Un objectif qui ne sera pas évident à tenir, de nouveaux fonds devant à nouveau être débloqués. L'Unicef tente, en collaboration avec le ministère de l'Education iranien, d'implanter une approche plus participative à l'école. Aujourd'hui, les techniques d'apprentissage restent largement basées sur le par-coeur. Les professeurs parlent, les enfants écoutent. Puis récitent. Jhasm Salmani résume : « Notre objectif est d'apprendre à lire et à écrire aux enfants et de les préparer à leurs rôles de bons musulmans »

Ispahan, l'école « Message de la Révolution »

Trois cent treize fillettes, âgées de six à onze ans, sont en rang dans la cour. Leurs institutrices, drapées dans leurs tchadors noirs islamiquement corrects, viennent de battre le rappel de la récréation. Aucune gamine ne moufte. Toutes regagnent leurs rangs, impeccables. Deux par deux. Bras le long du corps. Tête haute. Les petits visages sont soigneusement encadrés de blanc, la mèche rebelle doucement repoussée d'un geste déjà si pudique... Au moindre signe de leur institutrice, Leila, Pegah, Maryam et les autres peuvent également scander sur commande le nom de leur établissement scolaire : « Ecole Message de la révolution !! ». Située dans la banlieue d'Ispahan, cette école primaire annonce clairement le programme, comme les dizaines de milliers d'autres que compte aujourd'hui la République islamique d'Iran.

Ces enfants vont à l'école six jours par semaine, la pause du vendredi (l'équivalent du dimanche dans les pays islamiques) leur étant tout de même accordée. Dans de très nombreux autres établissements scolaires, la règle est de cinq jours par semaine, cinq heures par jour. Quatre matières principales sont enseignées : la langue perse (à ne pas confondre avec l'arabe, qui s'écrit également de droite à gauche, mais qui est une langue totalement différente), les mathématiques, les sciences et la religion. Cette dernière matière n'est enseignée que trois heures par semaine dans le primaire. Les horaires qui y sont consacrés seront ensuite beaucoup plus importants dans le secondaire, et seront doublés d'un apprentissage de l'arabe et du Coran.

A l'école « Message de la Révolution », comme dans toutes les autres écoles du pays, on retrouve au- dessus des tableaux noirs le portrait de l'ayatollah Khomeini. A ses côtés, le portrait de son successeur, l'ayatollah Khameini. Entre les deux héros nationaux, se trouve enfin un petit panneau, de la plus belle calligraphie arabe : « Allah est grand ». Une trilogie politico-religieuse présente dans toutes les écoles primaires, celles des filles et celles des garçons. Un coup d'oeil aux manuels scolaires illustre également la prégnance du modèle religieux et traditionnel dans les notions enseignées : les portraits de l'Ayatollah Khomeini occupent immanquablement la première page de chaque ouvrage. Des maximes telles que « l'Ayatollah est bon » s'affichent au hasard des pages. Enfin, au fil des illustrations, les filles voilées cousent ou aident leurs mères à cuisiner, tandis que les garçons aux cheveux courts jouent au ballon ou réparent leurs vélos. L'ordre des choses, tel que des millions d'enfants iraniens, filles et garçons, l'apprennent aujourd'hui dans leurs écoles...


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