Laos

Vientiane, le 5 mai 1997


Laorama : Au pays des gentils

Situé au coeur de la péninsule indochinoise, le Laos reste peu fréquenté. Il faut dire que les conditions de voyage y sont souvent éprouvantes, la nature parfois hostile et les installations hôtelières pas toujours très développées. Pourtant, les habitants de ce petit dinausore communiste respirent le charme et la gentillesse. Le Vietnam voisin est devenu une mode. Le Laos a su rester une destination attachante... Démonstration en quelques points.

 

Une histoire singulière et des souffrances au pluriel. « L'un des pays les plus pauvres du monde et l'un des derniers Etats communistes de la planète ». Pas de quoi affoler les masses... L'histoire n'a jamais été tendre avec ce bout de terre montagneux, perdu aux confins de la péninsule indochinoise. Ignoré par les marchands qui sillonnaient les côtes d'Asie, le Laos est longemps resté enfermé sur ses cités dorées et ses guerres tribales. Et quand les pirates chinois, les envahisseurs birmans ou les seigneurs thaïlandais ont lorgné sur le territoire, ce fut pour y exporter leurs guerres et leurs pillages. Le passé du Laos ? Une longue liste d'envahisseurs... Au 19ème siècle, les Siamois y régnaient en maîtres. Les Français entrèrent alors en jeu, jugeant que ce pays pourrait servir les destinées de feu l'Indochine française. La France était pourtant persuadée que le Mékong était impropre à la navigation commerciale, les plantations impossibles à développer dans une zone si montagneuse et les extractions de métaux trop coûteuses... Le Laos allait tout simplement servir de zone stratégique, pays tampon entre la Thaïlande sous influence anglaise et le Tonkin. C'est qu'en France, on a des idées... Mieux, on en donne aux autres : pays souffre-douleur, le Laos allait le rester après l'autonomie, accordée en 1953 par Paris. En 1964, la guerre du Vietnam débutait et débordait illico sur le Laos, promu base arrière par le Viêt-cong et poubelle à bombes par l'armée américaine. Les B-52, revenant de mission de bombardements sur le nord-Vietnam, avaient pour consigne de vider leurs chargements de mort. Les Laotiens sont devenues cibles et victimes d'une guerre qui ne les concernaient pas. La paix pointa alors. En même temps que la révolution. En 1975, le Pathet Lao, piloté par le grand frère vietnamien, proclamait la république démocratique populaire du Laos. Une république populaire au goût de camps de rééducation et de fuite des élites à l'étranger... Le Laos se refermait à nouveau sur lui-même. Il aura fallu attendre la chute d'un mur situé au coeur de l'Europe, à Berlin, pour découvrir un pays charmeur et attachant. Malgré des plaies béantes qui ne se referment que très lentement. Et dans les campagnes laotiennes, les bombes américaines, celles qui n'avaient pas explosé en touchant le sol, continuent à semer la mort.

 

Placards hurlants. En 1986, le Laos a mis fin à sa politique d'isolement économique et s'est tourné à pas mesurés vers l'étranger. Ce pays pauvre, enclavé et sous-peuplé, a relégué Marx et Engels au placard. Sur les bureaux du ministère au Plan sont soudain apparus des manuels concernant l'économie de marché. Rapidement, la loi sur les investissements étrangers a été assouplie; le contrôle des changes abandonné et les prix libérés. Libre entreprise, loi de l'offre et de la demande, dérégulation... Le vocabulaire gouvernemental est inédit. « Ils ne sont pas encore habitués, mais l'économie de marché fonctionne raisonnablement bien » estime Romeo Reyes, économiste du Plan de développement des Nations-Unies (PNUD), basé à Vientiane. Les investissements étrangers concernent en premier lieu le potentiel hydroélectrique du Mékong (75% du montant des accords passés selon le PNUD). La capitale a bien profité de l'ouverture, comme en témoignent notamment l'apparition de milliers de mobylettes Honda à Vientiane et la vente de denrées thaïlandaises dans les marchés de la ville. Coincé entre trois économies de forte expansion (Yunnan chinois, Vietnam et Thaïlande), le Laos pourrait devenir une zone de transit riche en promesses. Mais tout le monde participera t-il à la croissance ? Les écarts se creusent entre le secteur public et le secteur privé, dont les salaires peuvent être dix fois supérieurs ! Même écarts de revenus entre la capitale et les campagnes, alors que 85% des Laotiens sont ruraux. On a l'impression d'entendre Marx et Engels hurler du fond des placards.

 

Mékong, mode d'emploi. Pays de montagnes, le Laos n'a même pas d'accès à la mer. On y trouve pourtant certains des meilleurs marins du monde... Le pays est baigné par le Mékong, l'un des plus grands fleuves de la planète. Mais c'est aussi l'un des moins maîtrisé. La navigation y relève du grand art. Ou du suicide. C'est selon l'humeur... Descendre de Luang Prabang à Vientiane par bateau, en période sèche, est une expérience. Une aventure. Une galère. Première règle : avoir du temps, beaucoup de patience et un bon anti-moustiques. En saison sèche, impossible d'embarquer depuis Luang Prabang, où les eaux sont vraiment trop basses. Le flirt avec les rochers viendra beaucoup plus tard. Il faut d'abord se rendre à Pak Khon, un village fantôme (trois échoppes, un bac) situé à quatre heures (crevaison comprise) de taxi collectif. Ensuite, muni d'un excellent dictionnaire anglais-lao et du manuel de l'humour en voyage, il n'est pas impossible que vous trouviez un bateau qui embarque le jour même. Ou le lendemain. Voire dans la semaine. Le bateau ne part que s'il est plein.Quand l'événement majeur survient, on démarre. Tranquille. L'ambiance est extra. Les poules caquettent. Des gamins timides commencent une approche prudente. Les villageois observent en riant. Eux sont obligés de voyager ainsi. Ils ont du mal à comprendre qu'on puisse choisir le bateau quand on a les moyens de prendre l'avion. Sur des bancs durs, sur un bateau qui tangue dangereusement, avec un chauffeur qui s'arrête à 17 heures pour passer la nuit à fond de cale, avec les passagers, au milieu de nul part. Et là, d'un coup, tout le monde sait pourquoi il a embarqué... Ca arrive doucement, sans prévenir... Lors d'un repas où tout le monde partage sur une mauvaise paillasse, même ceux qui n'ont rien. Quand un enfant découvre avec effarement des photos de Vientiane, la capitale qu'il n'a jamais vue, dans un guide de voyage étranger. Quand les vieux Laotiens se repassent le guide à la lueur d'une vieille bougie et que l'on comprend qu'eux non plus, n'ont jamais mis les pieds hors de leurs villages. Quand, dehors, le Mékong prend la couleur du soleil qui s'éteint. La couleur de l'or. Il reste trois jours de voyage, des hordes de moustiques, des rapides à franchir, des nuits au milieu de nul part et des fringues qui fatiguent. « Baw pen nyang », « Tout cela n'a aucune importance ». C'est la phrase préférée de tout un peuple.

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