Journalistes français
au Laos

Au Laos, nous avons rencontré Alain Evrard, 38 ans, bardé d'appareils photos et d'objectifs plus impressionnants les uns que les autres. Basé à Hong Kong, il travaille dans toute l'Asie du sud-est. Aujourd'hui, Alain a sa propre agence de photos et vend beaucoup aux magazines et aux guides de voyage. Mais ce photographe d'origine belge a aussi derrière lui une longue carrière passée au service de l'actualité.

 

Alain Evrard, photographe indépendant
basé à Hong Kong, en reportage au Laos.

 
- Comment êtes-vous devenu photographe ?
- Par accident. J'avais 22 ans quand j'ai décidé de partir en vacances aux Philippines. J'avais dans mon sac à dos un Canon F1, un objectif et des pellicules noir et blanc. Un soir, je me suis fait accosté dans un bar par la directrice de casting du film « Apocalypse now ». Francis Ford Coppola était en train de tourner dans le pays. Elle m'a proposé de faire de la figuration. Ils te payaient l'hôtel, la bouffe et 50 dollars par jour pour mettre un costard de GI. J'ai accepté ! Sur le plateau, j'ai commencé à faire des photos du tournage. Je les faisais développer dans le village et je les vendais aux autres figurants, en souvenir. Je suis parti à Hong Kong avec ces photos. J'ai rencontré un photographe de l'agence Sipa qui était intéressé par mes clichés et en a ramené quelques-uns à Paris. Je suis reparti aux Philippines, sur le tournage, avec le nouveau matériel que je m'étais acheté à Hong Kong. Et là, Sipa m'a appelé pour me demander plus de photos, toujours en noir et blanc. Ils les ont notamment vendues à Paris Match. J'ai été payé. Là, je me suis dis que ce serait pas mal de devenir photographe.
- Votre parcours depuis « Apocalypse Now » ?
- Je suis retourné à Hong Kong. J'ai décidé de faire des photos de guides : Bali, Singapour, d'autres pays de la région... Parallèlement, j'ai continué les voyages pour Sipa. En 1984, un Boeing de la Corean Airlines a été descendu par les Russes. Je suis parti à Séoul en garantie pour Newsweek. Juste après, Indira Gandhi était assassinée. Et là, coïncidence, l'avion qui me ramenait de Séoul faisait escale à New Delhi. J'ai appelé Sipa qui m'a dit de foncer. J'ai fait toute l'histoire et la Une de Time magazine avec les photos de la crémation d'Indira. Il y avait 18 photographes en garantie pour Time. J'ai fait les meilleures photos.

- Aujourd'hui, vous faites surtout des guides de voyage.
- De 1984 à 1986, j'ai travaillé à plein temps pour Sipa puis j'ai arrêté. Je me suis installé à Hong Kong pour faire les guides sur toute l'Asie. Dans les années 80, ce continent s'ouvrait et je voyageais sans arrêt. Je travaillais en grand format. J'ai monté mon agence de photos, Globe Press. Je fais des duplis que j'envoie à des du monde entier. Elles les revendent ensuite aux magazines, aux guides de voyage, aux livres consacrés à ce continent. Mes photos sortent dans des guides ou des magazines de voyages anglais, italiens, mexicains, allemands... J'ai de l'énergie, je mitraille. J'ai accumulé un stock de photos sur 15 ans. Bilan, chaque jour, je vends au moins une photo dans le monde. Cela m'assure un revenu confortable.

- Vous ne faites plus de news ?
- Parfois. En 1988, notamment, Asiaweek m'a proposé de partir en Birmanie. Ca bougeait, il y avait des manifs étudiantes et tous les photographes s'étaient grillés. Après d'âpres négociations, j'ai finalement accepté de partir. Le 7 août 1988, il y a eu une grande manif. Les militaires tiraient sur la foule. Je m'y suis précipité, mais la lumière tombait et il était impossible de travailler au flash avec des militaires qui tiraient. Je suis revenu à six heures du matin. Bingo : il y avait des militaires qui menaçaient la foule avec des baïonnettes. Cette photo est aujourd'hui la plus connue sur la Birmanie. J'ai continué à faire des photos au fur et à mesure que la journée avançait. Il y avait un million de gens dans les rues ! A 18 heures, je suis rentré cacher mes pelloches et je suis reparti. Là, je me suis fais arrêté, c'était plus que musclé. J'ai vraiment eu peur. L'hôtel de ville avait été transformé en prison, ils m'y ont enfermé. J'ai eu droit à cinq heures d'interrogatoires, des menaces... Je me demandais si j'allais m'en sortir. Le lendemain matin, rebelote. Le surlendemain, ils m'ont enfin annoncé que j'allais être expulsé et m'ont accompagné à l'hôtel. Ma première pensée fut pour les pellicules que j'avais cachées. Au terme d'une partie de cache-cache incroyable dans les couloirs de l'hôtel avec les militaires, j'ai réussi à les donner à un routard américain qui disait bientôt revenir sur Bangkok. Ils m'ont expulsé et j'ai fait le planton à l'aéroport de Bangkok. J'avais un scoop et je ne savais pas si ce type pourrait passer mes photos. Il est arrivé deux jours plus tard, j'ai récupéré huit pelloches sur onze et j'ai pris le premier vol pour Hong Kong. Par chance, les meilleurs clichés étaient bien là. Ces photos se sont vendues dans le monde entier et se vendent encore aujourd'hui...
- Avec quel matériel travaillez-vous ?
- En 18 ans, j'ai changé cinq fois de matériel. Je suis passé de Canon à Nikon, puis je suis revenu sur un coup de tête à Canon. Une toute autre manière de travailler. J'ai tout racheté d'un coup. J'ai cinq boitiers, tous les objectifs. J'ai absolument tout.

- Votre meilleur souvenir ?
- Avoir décidé de venir en Asie. C'est devenu une drogue dont je ne peux plus me passer. Mon meilleur souvenir, c'est aussi l'amitié. Le travail sans l'amitié, c'est vide.

- Votre plus mauvais souvenir ?
- Avoir vu la mort en face. En 1984, j'étais donc en Inde pour l'assassinat d'Indira Gandhi. Cet événement avait provoqué des émeutes sanglantes entre les Sikhs et les Hindous. Je suis parti dans un quartier sikh, où des massacres avaient lieu. Un mec m'a assommé. Il m'a traîné par les cheveux, d'autres se sont mis à me tabasser. De loin, je voyais des Hindous prendre de l'essence et brûler vivants les gens. Une jeep militaire est arrivée au moment où j'ai compris ce qui arrivait: ils voulaient me brûler vif. Les militaires indiens m'ont sauvé la vie.

- Vos projets pour la suite ?
- Je voudrais partir. Mon rêve : m'installer en Espagne ou en Italie et vivre dans la simplicité.


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