- Comment êtes-vous devenu
photographe ?
- Par accident. J'avais 22 ans quand j'ai
décidé de partir en vacances aux Philippines.
J'avais dans mon sac à dos un Canon F1, un
objectif et des pellicules noir et blanc. Un
soir, je me suis fait accosté dans un bar par la
directrice de casting du film « Apocalypse
now ». Francis Ford Coppola était en train
de tourner dans le pays. Elle m'a proposé de
faire de la figuration. Ils te payaient l'hôtel,
la bouffe et 50 dollars par jour pour mettre un
costard de GI. J'ai accepté ! Sur le plateau,
j'ai commencé à faire des photos du tournage.
Je les faisais développer dans le village et je
les vendais aux autres figurants, en souvenir. Je
suis parti à Hong Kong avec ces photos. J'ai
rencontré un photographe de l'agence Sipa qui
était intéressé par mes clichés et en a
ramené quelques-uns à Paris. Je suis reparti
aux Philippines, sur le tournage, avec le nouveau
matériel que je m'étais acheté à Hong Kong.
Et là, Sipa m'a appelé pour me demander plus de
photos, toujours en noir et blanc. Ils les ont
notamment vendues à Paris Match. J'ai été
payé. Là, je me suis dis que ce serait pas mal
de devenir photographe. |
- Votre parcours depuis
« Apocalypse Now » ?
- Je suis retourné à Hong Kong. J'ai décidé
de faire des photos de guides : Bali, Singapour,
d'autres pays de la région... Parallèlement,
j'ai continué les voyages pour Sipa. En 1984, un
Boeing de la Corean Airlines a été descendu par
les Russes. Je suis parti à Séoul en garantie
pour Newsweek. Juste après, Indira Gandhi était
assassinée. Et là, coïncidence, l'avion qui me
ramenait de Séoul faisait escale à New Delhi.
J'ai appelé Sipa qui m'a dit de foncer. J'ai
fait toute l'histoire et la Une de Time magazine
avec les photos de la crémation d'Indira. Il y
avait 18 photographes en garantie pour Time. J'ai
fait les meilleures photos. -
Aujourd'hui, vous faites surtout des guides de
voyage.
- De 1984 à 1986, j'ai travaillé à plein temps
pour Sipa puis j'ai arrêté. Je me suis
installé à Hong Kong pour faire les guides sur
toute l'Asie. Dans les années 80, ce continent
s'ouvrait et je voyageais sans arrêt. Je
travaillais en grand format. J'ai monté mon
agence de photos, Globe Press. Je fais des duplis
que j'envoie à des du monde entier. Elles les
revendent ensuite aux magazines, aux guides de
voyage, aux livres consacrés à ce continent.
Mes photos sortent dans des guides ou des
magazines de voyages anglais, italiens,
mexicains, allemands... J'ai de l'énergie, je
mitraille. J'ai accumulé un stock de photos sur
15 ans. Bilan, chaque jour, je vends au moins une
photo dans le monde. Cela m'assure un revenu
confortable.
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- Vous ne faites plus de news ?
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Parfois. En 1988, notamment, Asiaweek m'a
proposé de partir en Birmanie. Ca bougeait, il y
avait des manifs étudiantes et tous les
photographes s'étaient grillés. Après d'âpres
négociations, j'ai finalement accepté de
partir. Le 7 août 1988, il y a eu une grande
manif. Les militaires tiraient sur la foule. Je
m'y suis précipité, mais la lumière tombait et
il était impossible de travailler au flash avec
des militaires qui tiraient. Je suis revenu à
six heures du matin. Bingo : il y avait des
militaires qui menaçaient la foule avec des
baïonnettes. Cette photo est aujourd'hui la plus
connue sur la Birmanie. J'ai continué à faire
des photos au fur et à mesure que la journée
avançait. Il y avait un million de gens dans les
rues ! A 18 heures, je suis rentré cacher mes
pelloches et je suis reparti. Là, je me suis
fais arrêté, c'était plus que musclé. J'ai
vraiment eu peur. L'hôtel de ville avait été
transformé en prison, ils m'y ont enfermé. J'ai
eu droit à cinq heures d'interrogatoires, des
menaces... Je me demandais si j'allais m'en
sortir. Le lendemain matin, rebelote. Le
surlendemain, ils m'ont enfin annoncé que
j'allais être expulsé et m'ont accompagné à
l'hôtel. Ma première pensée fut pour les
pellicules que j'avais cachées. Au terme d'une
partie de cache-cache incroyable dans les
couloirs de l'hôtel avec les militaires, j'ai
réussi à les donner à un routard américain
qui disait bientôt revenir sur Bangkok. Ils
m'ont expulsé et j'ai fait le planton à
l'aéroport de Bangkok. J'avais un scoop et je ne
savais pas si ce type pourrait passer mes photos.
Il est arrivé deux jours plus tard, j'ai
récupéré huit pelloches sur onze et j'ai pris
le premier vol pour Hong Kong. Par chance, les
meilleurs clichés étaient bien là. Ces photos
se sont vendues dans le monde entier et se
vendent encore aujourd'hui... |
- Avec quel matériel travaillez-vous
?
- En 18 ans, j'ai changé cinq fois de matériel.
Je suis passé de Canon à Nikon, puis je suis
revenu sur un coup de tête à Canon. Une toute
autre manière de travailler. J'ai tout racheté
d'un coup. J'ai cinq boitiers, tous les
objectifs. J'ai absolument tout. -
Votre meilleur souvenir ?
- Avoir décidé de venir en Asie. C'est devenu
une drogue dont je ne peux plus me passer. Mon
meilleur souvenir, c'est aussi l'amitié. Le
travail sans l'amitié, c'est vide.
- Votre plus mauvais souvenir ?
- Avoir vu la mort en face. En 1984, j'étais
donc en Inde pour l'assassinat d'Indira Gandhi.
Cet événement avait provoqué des émeutes
sanglantes entre les Sikhs et les Hindous. Je
suis parti dans un quartier sikh, où des
massacres avaient lieu. Un mec m'a assommé. Il
m'a traîné par les cheveux, d'autres se sont
mis à me tabasser. De loin, je voyais des
Hindous prendre de l'essence et brûler vivants
les gens. Une jeep militaire est arrivée au
moment où j'ai compris ce qui arrivait: ils
voulaient me brûler vif. Les militaires indiens
m'ont sauvé la vie.
- Vos projets pour la suite ?
- Je voudrais partir. Mon rêve : m'installer en
Espagne ou en Italie et vivre dans la
simplicité.
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