Malaisie

Kuala Lumpur, le 1er mars 1997


Malarama

Le dragon aux trois couleurs ne fait guère de bruit sur la scène internationale. Pourtant, entre les tensions raciales, l'émergence d'un Islam radical et de hautes ambitions économiques, la Malaisie pourrait bientôt faire parler d'elle. Visite guidée avec notre habituelle rubrique "panorama".

 

Dix-neuf millions de Malaisiens, dix millions de Malais
Comme toutes les jeunes nations, l'ancienne colonie britannique cherche depuis des années à faire valoir l'appartenance nationale. Mais en Malaisie, l'exercice se heurte à une difficulté de taille : la composition multiethnique de la population. Sur les 19 millions d'habitants, on recense dix millions de Malais (« Bumiputras » ou « fils du sol »), sept millions d'habitants d'origine chinoise et deux millions d'habitants d'origine indienne. Les migrations ont eu lieu entre le XVIIème et le XIXème siècle. Pourtant, les trois communautés veillent jalousement sur leurs intégrités culturelles. Ce qui pourrait sembler charmant au visiteur ému par l'apparente harmonie raciale, se révèle être un dangereux foyer de tensions sociales en Malaisie. Premiers défenseurs de l'intégrité culturelle : les Malais. Depuis 1957 et les marchandages passés entre les chefs de trois communautés, ceux-ci bénéficient de privilèges garantis par la Constitution. Le Premier ministre Mahathir Mohamad plaide depuis des années pour la « Malaisia Bangsa », une nation composée de Malaisiens, et non de Malais, de Chinois et d'Indiens. A ce titre, les privilèges communautaires n'auraient plus droit de cité. Evidemment, les Malais n'apprécient guère. Difficile de débloquer la situation : la plupart des postes de pouvoir leur sont réservés, tandis que les Chinois sont implantés dans les affaires et les Indiens dans le droit et la médecine. Enfin, la race figure toujours en bonne place sur les cartes d'identité. « United colors of Malaysia » aura bien du mal à s'implanter.

 

La montée d'un Islam intégriste.
En 1990, les élections organisées dans l'Etat malaisien du Kelantan ont résonné comme un coup de tonnerre. Le parti islamiste a remporté les sièges. Dans l'euphorie de la victoire, le nouveau dirigeant du Kelantan affirmait vouloir imposer la Charia dans son fief. Et bientôt, répétait-il, la Malaisie suivra également ce chemin. Six ans plus tard, la naissance annoncée d'un Islam radical malais n'a pas eu lieu. La liberté de culte est toujours respectée. Les mosquées mauresques, les temples hindouistes, les pagodes et les églises jouent les bonnes voisines. Petite Babylone de l'Asie, où se croisent aujourd'hui tous les marchands du monde, la Malaisie professe toujours un Islam tranquille et tolérant. Le gouvernement s'est cependant inquiété d'une possible montée en flèche des groupuscules radicaux. Comment les interdire, ou même les contrôler, dans un Etat dont l'Islam est la religion officielle ? Les ministres ont préféré insister sur la nécessité d'une assimilation lente et soigneusement surveillée des valeurs islamiques. Dans les faits, cette nouvelle orientation s'est surtout traduite par une « moralisation » de la vie publique. Les boîtes de nuit sont priées de fermer leurs portes dès minuit, les salles de jeux vidéos sont fermées pou des broutilles, les parents sont rappelés pour une meilleure surveillance de leurs rejetons. Au Boom-Boom, la boîte gay et mode de Kuala Lumpur, on danse pour oublier...

 

Le bébé tigre rêve de devenir dragon
« Vision 2020 »... Les peintres en bâtiments s'en sont donnés à coeur joie sur tous les immeubles officiels. Les jardiniers de la capitale rivalisent d'imagination pour faire apparaître le slogan dans les bacs à fleurs. Que va t-il donc se passer ? Une candidature aux Jeux Olympiques ? La fête de l'indépendance ? Bien mieux : en 2020, la Malaisie fera son entrée officielle dans la cour des pays riches et puissants. Ainsi en a décidé le Premier ministre Mahathir Mohamad. Objectif : quintupler en 25 ans le PNB par habitant (2000 dollars actuellement) et maintenir un taux de croissance minimum de 7% par an !! Rien que ça. Les chantiers s'ouvrent par centaine à Kuala Lumpur, qui prend parfois des allures de ville sinistrée. Une nouvelle capitale fédérale se construit à 35 km au sud de l'actuelle capitale, appelée à être détrônée par cette ville dortoir construite dans la précipitation. Un nouvel aéroport international sera ouvert en 1998. Les grands travaux sont lancés. La Malaisie, devenue le troisième exportateur mondial de semi-conducteurs, affiche un aujourd'hui un taux de croissance de 8% par an et une balance courante excédentaire grâce à l'envol des exportations. Toute la côte ouest du pays se transforme en une vaste zone franche. Les usines s'y implantent par milliers, délocalisées par de grandes entreprises étrangères. En 1980, ce pays n'exportait encore que des produits primaires (caoutchouc, huile de palme, fruits, poivre et bois). Tous les économistes mettent en garde : attention à la surchauffe. La Malaisie n'en a cure. La raison est inscrite sur tous les murs et dans tous les bacs à fleurs : « Vision 2020 ».

 

Un pays champion du monde
« Les plus hautes tours jumelles du monde ». « La plus grande mosquée du monde ». « Le plus haut drapeau du monde ». « Le plus gros papillon du monde ». La Malaisie semble atteinte de la folie des grandeurs. Pas un endroit touristique qui n'ait développé le concept. A Taman Negara, perdu dans la jungle tropicale, le guide fait soudain un détour. Il ne voudrait surtout pas faire manquer à ses ouailles le clou du spectacle : « Le plus grand pont suspendu du monde ». Après des heures de marche, après les sangsues, les huttes aborigènes, les fleurs merveilleuses et les crawls dans des cavernes infestées de chauve-souris, on s'attend à un fantastique ouvrage aborigène, construit à main d'hommes au-dessus d'une grande rivière infranchissable. On débarque sur un ouvrage impeccable, tout neuf, « made in office du tourisme ». Entourés des « plus grands arbres du monde », baignés de la « pluie la plus mouillée du monde », au milieu des cris inquiétants des « plus beaux oiseaux du monde », qui peuplent « le parc naturel le plus protégé du monde », on comprend enfin que rien ne sera épargné par « le pays le plus frimeur du monde ».

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