L'école en Malaisie

Kuala Lumpur, le 1er mars 1997


Des écoles de toutes les couleurs

Deux millions de petits Malaisiens fréquentent six jours par semaine les écoles primaires de Malaisie. Derrière ce constat global se cachent les richesses et les tensions d'un peuple multiethnique. Mais aussi les ambitions économiques d'un petit pays d'Asie qui entend passer rapidement dans la cour des grands.

 

Trois ethnies pour un pays. Sur l'un des murs de la salle de classe, l'instituteur a affiché la liste des quarante-quatre élèves. Dans l'école primaire « Rendah Kebangsaan », située sur l'île de Penang, on s'attendait certes à une belle palette de prénoms aux origines différentes. Mais celle-ci dépasse toutes les espérances : Abdullah et Syammir, petits Malais musulmans, y côtoient Sui Lin et Wen Xin d'origine chinoise. Manalechumi et Surendra, d'origine indienne, y figurent aussi. Sur cette affichette écrite à l'encre bleue, c'est l'identité ethnique d'un pays qui se dévoile. Le petit territoire est peuplé de 19 millions d'habitants. Tous sont Malaisiens. A ne pas confondre avec les Malais (les « Bumiputras » ou « fils du sol ») qui ne représentent que 58% de la population. Les habitants d'origine chinoise, lointains descendants des émigrants du XVIIème siècle, représentent 31% de la population. Quant aux Indiens, dont les ancêtres étaient venus travailler sur les plantations à partir du XIXème siècle, ils sont 11% en Malaisie. Une diversité ethnique que l'on remarque rapidement en se promenant dans les rues des villes malaisiennes. Une diversité ethnique que l'on retrouve aussi dans les salles de classe de cette école primaire, l'une des plus grandes de l'île de Penang.

Trois types d'écoles. L'établissement fait pourtant figure d'exception en Malaisie. Dans le reste du pays, la règle est, depuis 1957, au respect absolu des cultures. Hérité des marchandages passés à l'heure de l'indépendance entre les chefs des trois communautés, le système scolaire malaisien s'est donc organisé autour de trois types d'établissements : les écoles chinoises, malaises et indiennes... Chacune dispense l'éducation dans la langue maternelle de l'élève. Au choix : le Bahasa Malaysia (langue malaise), le Mandarin (langue chinoise) ou le Tamoul (langue indienne). Des manuels d'éducation, identiques quant au contenu, sont fournis dans les trois langues par le ministère de l'Education. A la fin du cycle primaire, tous les élèves sont censés intégrer le collège, qui dispensera cette fois un enseignement en Bahasa Malaysia. Pour les petits Chinois et Indiens, qui partent avec une belle longueur de retard en la matière, une année spéciale de rattrapage a été prévue. Un beau casse-tête pour les enseignants. Et surtout, un système que le Premier ministre malais Mahathir Mohamad souhaiterait réformer en profondeur.

 

  Une école à part. Depuis son entrée en fonction, en 1981, Mahathir Mohamad défend sans faiblir son principal cheval de bataille : l'unification des trois ethnies. Cela signifie la fin des privilèges pour les « Bumiputras » et l'appartenance réelle des trois communautés à une seule nation.... L'idée fait grincer beaucoup de dents, principalement celles des Malais, qui ne céderont pas facilement leurs privilèges de « fils du sol » (droits en matière de bourses scolaires, d'investissements ou inscriptions universitaires). Le Premier ministre est donc contraint d'y aller en douceur. Dans le domaine de l'éducation, le tout premier pas a été fait en 1995, avec l'ouverture d'une école privée de langue anglaise. Les Chinois malaisiens, qui réussissent traditionnellement bien dans le secteur commercial et composent aujourd'hui la majorité des hommes d'affaires fortunés, y ont inscrit en masse leurs enfants. L'école primaire « Rendah Kebangsaan », publique, s'est tout simplement engouffrée dans la brèche ainsi ouverte. Sans réclamer le statut officiel d'école anglaise. L'établissement est censé dispenser tous les cours en Bahasa Malaysia. Pourtant, les professeurs et les élèves s'expriment volontiers dans la langue de Shakeaspeare. Et surtout, les enfants des trois ethnies s'y côtoient. Sans faire de remous, cette école a finalement réussi là où les hommes politiques ont tant de mal à faire valoir leurs idées : réunir les trois communautés sur les bancs d'une même école.

 

« Vision 2020 » jusque dans les bacs à sable. Mahathir Mohamad est décidément un homme d'idées. Le Premier ministre a aussi décidé d'emmener son pays à l'avant de la scène internationale . Pour cela, tous les Malaisiens sont priés de travailler à « Vision 2020 ». Derrière ce slogan sans relief se cache un programme économique ambitieux, visant à faire de la Malaisie un pays riche et prospère. En vingt-cinq années, le pays doit quintupler le PNB par habitant. Et accessoirement, maintenir une croissance de 7% par an. Le pays devra aussi parler anglais et faire valoir son « identité asiatique » face à la toute puissance imposée des nations occidentales. Dont acte dans les écoles primaires. L'anglais est enseigné dans toutes les écoles à partir de la première année. A six ans, les gamins commencent leur apprentissage du bilinguisme. Côté « valeurs asiatiques », ils y passent tous aussi : des cours d'éducation civique sont dispensés tout au long des six années du cycle primaire. Et pour que les petites têtes soient vraiment bien pleines, les écoliers fréquentent les salles de classe six jours par semaine. Le samedi, ils reprennent le chemin de l'école pour des « activités extra-scolaires », qui n'en ont d'ailleurs que le nom. Les plus faibles sont envoyés en cours de rattrapage, les autres chez les scouts. Entre deux feux de bois improvisés dans la cour de l'école, les enfants entonnent l'hymne national. Enfin, à la lecture minutieuse du contenu des programmes, on s'aperçoit que les cours de mathématiques vont de pair avec l'enseignement des « pratiques commerciales » ! « Vision 2020 » a vraiment commencé...

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