La réception se termine. Ils conduisent ou se font
conduire dans leurs voitures climatisées (« En
été, on vit un enfer, vous savez ») et rejoignent
leurs palaces de marbre blanc. Ils habitent à
Islamabad, une ville située « à dix minutes du
Pakistan », comme aiment à le répéter certains.
En tous cas, à des années lumières du peuple
pakistanais. Pourtant, voilà trente-cinq ans, le
gouvernement avait fait construire cette ville pour se
rapprocher du reste du pays. L'ancienne capitale,
Karachi, située à l'extrême sud, était vraiment trop
éloignée. Le gouvernement a donc choisi un terrain
vierge, au coeur du Pakistan, à mi-chemin des montagnes
himalayennes, des côtes du Golfe persique, des zones
tribales de l'est du pays, des déserts situés à
l'ouest. Et en 1961, un architecte s'y est collé : des
larges avenues, des parcs, des quartiers indépendants
construits autour de centres commerciaux... Toute la
bourgeoisie du pays, toutes les grandes familles
politiques et tous les diplomates y habitent désormais. Il
faut prendre une route à quatre voies pour rejoindre la
ville de Rawalpindi, à quinze kilomètres, et retomber
dans la réalité pakistanaise : les bazars surchauffés,
les familles qui campent sur les trottoirs, les gamins
qui travaillent dans les échoppes, les gamines qui fouillent les
immondices, les taux de scolarisation parmi les plus bas
du monde, les salaires moyens qui atteignent à peine
quelques centaines de francs mensuels... Bref, le tableau
d'un pays qui figure parmi les plus pauvres du monde.
Islamabad cloche. Cette ville sue l'argent. Soyons franc
: cette ville pue l'argent. Et ils sont nombreux à en
aimer l'odeur... La Cour de justice, le Parlement, la
bibliothèque nationale, la mosquée sont d'immenses
débauches de marbre blanc. Du luxe à l'état pur, qui
fait sourire amèrement les Pakistanais des autres villes
du pays, englués dans la pauvreté, la pollution et la
chaleur. Les routes sont larges, aérées. Pas un seul
rickshaw, uniquement des taxis jaunes. Des quartiers
carrés, tronçonnés, répertoriés selon les lettres de
l'alphabet. Des rues numérotées. Des maisons
numérotées. Car tout ici est affaire de chiffres. Ou
plutôt, tout est ici chiffre d'affaires.
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