L'école au Pakistan

Karachi - Le 10 décembre 1996


La faillite

Le Pakistan figure au palmarès des pays les moins alphabétisés et les moins scolarisés du monde. Les écoles publiques que nous avons visitées sont dans un état lamentable. Le gouvernement affirme pourtant faire de gros efforts, tandis que les associations humanitaires dénoncent ce qu'elles considèrent comme une simple politique de façade, destinée à calmer les organisations humanitaires qui s'émeuvent de la situation.

 

Manque de confiance dans l'éducation primaire publique. « Je préfère qu'elle nous aide à la maison. De toute façon, l'école ne lui a pas plu ». Ali a parlé. Sa fille de huit ans baisse la tête. Muette. Ils habitent Kolakay, un tout petit village situé à une heure de route de Lahore. Sonja tisse des tapis toute la journée. Elle a dix ans. Son père ne l'a pourtant pas tout de suite mise au travail, à l'inverse de nombreuses familles, convaincues que les filles sont bien mieux à la maison qu'en cours. A sept ans, Sonja a donc pu prendre le chemin de l'école. Elle ne s'y est pas plue. Elle a demandé à rentrer à la maison. Pain béni pour ses parents agriculteurs, dont les maigres revenus s'accommodent fort bien du travail que fournissent désormais Sonja et ses soeurs aînées. Un rapport de l'Unicef a récemment souligné que la moitié des enfants qui entrent à l'école primaire ne continuent pas leur scolarité au-delà de la deuxième année. Comme Sonja.

La faillite de l'école publique. Ali, comme de nombreux parents, n'a plus assez foi dans l'école pour motiver ses filles, les obliger à s'y rendre, et se priver du même coup de l'apport financier substantiel qu'elles peuvent apporter à la famille. Une visite dans les écoles de Lahore et de la campagne environnante permet de mieux comprendre. Les écoles privées sont très bien organisées, largement pourvues en matériel pédagogique et en professeurs. Les parents, qui paient très cher, surveillent de près la qualité des cours dispensés. Les fonctionnaires qui nous ont guidé dans les écoles de la zone se sont d'ailleurs fait un plaisir de nous emmener dans les établissements privés. « Voyez comme nos écoles sont belles. »

Le salaire d'un instituteur : 300 francs par mois. Pénétrer dans les écoles publiques est une autre histoire. Là, des trous dans le mur. Ici, des enfants qui, été comme hiver, étudient assis par terre dans une cour non couverte. Là, un professeur qui n'est pas venu. Les enfants rentrent chez eux ou vont traîner dans les rues. « L'absentéisme des profs est un sérieux problème » commente s'en s'émouvoir l'une des fonctionnaires. Payés 2.000 roupies par mois (300 francs), beaucoup préfèrent en effet se faire porter pâle et exercer en parallèle un autre métier.

L'école-garderie. Dans une autre école, des garçonnets alignés contre un mur, ânonnent comme des robots ce que l'unique professeur leur crie. Pourquoi ne pas faire rentrer les enfants dans la salle de classe ? « il y a largement assez de Ils sont trop nombreux. Nous n'avons qu'un seul professeur. Dehors, place les jeunes frères des ». Et pourquoi y a t-il des enfants de trois ans dans la classe ? « Ce sont élèves. Les parents se servent de l'école comme d'une garderie écoles que nous avons ». Dans les trois visité avec les fonctionnaires du gouvernement, les professeurs nous ont offert à manger. Au milieu d'enfants qui reluquaient d'un drôle d'air nos bouteilles de Coca et nos cuisses de poulets. Cela n'a pas posé problème à nos sept fonctionnaires, qui se sont rués sur chaque festin : « ça à chaque fois ». C'est comme Ah bon.

Des chiffres illusoires. A l'antenne régionale du ministère de l'éducation, tout le monde semble satisfait. Et l'on manie allègrement les chiffres : « La province de Lahore affiche les meilleurs taux de scolarisation du pays avec 55% » se réjouit la directrice. Une étude plus approfondie de la plaquette qui nous a été remise est hallucinante : on y affiche sans complexe un taux de scolarisation national de 71%, tandis que les quatre provinces qui composent le pays affichent respectivement 55, 46, 63 et 50%. La moyenne des quatre est évidemment bien loin des 71%... « On a peut-être fait une erreur. » Une erreur que reproduit, faute de mieux, la plaquette officielle de l'Unicef. « Ce sont les chiffres du gouvernement. Que voulez vous qu'on fasse ? » lance d'un air fatigué l'un des responsables. Et quand au ministère, Madame la directrice veut bien reconnaître que l'éducation publique a quelques problèmes de fréquentation, elle se justifie aussitôt : « Les parents sont pauvres. Ils préfèrent envoyer les enfants au travail. C'est à cause d'eux que nos écoles sont vides. »

La faute aux parents et pas au gouvernement ? Tout le monde n'est pas d'accord. « La pauvreté est un faux problème que brandit beaucoup trop facilement le gouvernement face aux faibles taux de scolarisation » s'indigne Fawad Usman Khan, de l'association humanitaire pakistanaise Suddaar. « Si l'école publique était de qualité, de nombreux parents consentiraient à tous les sacrifices pour que les enfants puissent suivre les cours ». A l'appui de cette affirmation, l'école informelle que Fawad a mis en place dans la campagne proche de Lahore, à destination des enfants au travail dans les tanneries. Les emplois du temps y sont très souples et s'adaptent à la vie professionnelle de ses jeunes élèves.

Le besoin d'une école adaptée à la réalité. L'éducation dispensée par Suddaar répond à une réelle soif de connaissance, et s'appuie surtout sur la réalité quotidienne des élèves : « On leur explique par exemple que pour ne pas se faire arnaquer au travail, il faut bien connaître les chiffres. Et qu'il faut donc faire des maths. » Tous les enfants du village suivent ces cours, prenant sur leur temps de travail. Aucun parent n'a trouvé à redire sur le manque à gagner que cela a logiquement entraîné. Fawad a plusieurs fois tenté de faire passer le message aux responsables de l'éducation primaire : « Ils ne m'écoutent pas. Ils ne remettront jamais en cause le système et ne reconnaîtront jamais sa faillite. » estime Fawad.

Un budget national limité pour l'éducation. Pourtant, le gouvernement pakistanais affirme volontiers faire des efforts en matière d'éducation. Voici deux ans, le pays a notamment signé la charte de l'Unicef prévoyant l'école primaire obligatoire dans les quatre provinces. Le budget total consacré à l'éducation (2,5% du PNB) n'a cependant pas augmenté et reste très inférieur aux recommandations de l'Unesco (4%). En outre, pour que le nombre de professeurs soit satisfaisant, il faudrait en former 26.000 chaque année. Les capacités des instituts de formation sont de 15.000 par an... Et les dirigeants de répéter sans cesse l'un de leur objectif pour 2002 : « Le remplissage à 100% des écoles primaires publiques ». Vaste programme.


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