Thailande - Birmanie

Kanchanaburi, le 28 mars 1997


Le long chemin des réfugiés karens

La junte birmane a lancé en mars dernier une offensive militaire qui a jeté 15.000 réfugiés karens sur les routes de la Thaïlande voisine. Chronique de l'écrasement d'un peuple sur des considérations purement économiques.
Quinze mille réfugiés en quelques semaines. Les camions militaires thaïlandais s'arrêtent net. Les uniformes kakis se déploient sur le terrain. Dans le grésillement des talkies-walkies, les voix paniquées des gardes-frontières viennent d'annoncer l'arrivée d'un millier de nouveaux réfugiés sur le sol thaïlandais. Un millier de Karens issus de petits hameaux d'agriculteurs éparpillés dans la jungle du sud-est de la Birmanie. Mais qui peut habiter impunément le sol de l'une des plus dures dictatures du monde ? Certainement pas les Karens, l'ethnie qui refuse depuis toujours de s'inféoder à la junte de Rangoon. Les généraux ont dernièrement lancé une violente offensive sur les territoires rebelles. En quelques semaines, quinze mille Karens terrorisés ont déferlé sur la Thaïlande. Du jamais vu. Cinq milliards de dollars. Derrière ces histoires de vies brisées se cache une énorme histoire d'argent. En Birmanie, l'heure est à l'ouverture économique. Projets de gazoduc, de barrages, d'usines... Le montant des investissements étrangers a atteint 5 milliards de dollars francs depuis 1988. Les firmes multinationales sont attirées par les importantes ressources naturelles birmanes. Plus que jamais, le Conseil d'Etat pour la restauration de la loi et de l'ordre (SLORC) doit achever de convaincre ses partenaires potentiels en exerçant un contrôle absolu sur les zones concernées par les investissements. Le temps était donc venu de lancer une offensive massive sur le territoire rebelle karen, une zone riche en promesses. Un important gazoduc doit notamment y passer. La mise de fonds, d'un montant d'un milliard de dollars, a notamment été apportée par la firme française Total, devenue dans la foulée l'un des plus gros investisseurs étrangers en Birmanie. D'autres investissements sont prévus dans la région, constituant autant de raisons de mettre au pas l'Etat rebelle.

 

Des familles séparées. La Thaïlande s'est elle aussi mise à lorgner sur le potentiel économique de son rude voisin. La voilà devenue particulièrement sensible aux mouvements d'humeur des généraux de Rangoon... Ces derniers craignent-ils que les nouveaux réfugiés, issus de villages proches du quartier général de l'UNK, constituent une base arrière pour les rebelles en Thaïlande? Les militaires thaïlandais rapatrient de force tous les hommes et les garçons de plus de treize ans. Direction la Birmanie, en pleine zone de combats. D'autres réfugiés, femmes et enfants compris, se voient refuser l'entrée en Thaïlande alors que le SLORC est tout proche. Des centaines de familles sont séparées. Des milliers de villageois se déplacent le long de la frontière au gré des combats, en attendant que la Thaïlande les laisse enfin entrer. La pression des ONG et des médias locaux poussera finalement le gouvernement thaïlandais a accueillir les réfugiés. Prétendre que la guerre est finie. Mais la junte birmane n'a pas fini de faire pression sur le gouvernement thaïlandais pour un retour rapide des réfugiés karens en Birmanie. En juillet prochain, l'association des pays du sud-est asiatique (Asean) va réexaminer la candidature de la Birmanie. Si les généraux peuvent proclamer que la guerre civile est terminée sur leur sol, les portes de l'Asean pourraient bien s'ouvrir toutes grandes. La junte élargirait du même coup le cercles de ses partenaires économiques. Aung San Suu Kyi, célèbre chef de l'opposition démocratique, demande de son côté la suspension de tout investissement étranger tant que le régime de Rangoon refuse d'engager des réformes politiques. Rien ne semble pourtant troubler les investisseurs. En Birmanie, l'argent a décidément une sale odeur.

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