Sud de la Thailande

Surat Thani, le 25 mars 1997


L'école des singes

Dans le sud de la Thaïlande, un agriculteur thaïlandais a ouvert une école de singes unique au monde. Reprenant des techniques ancestrales asiatiques, Saekhow apprend à ses élèves la récolte des noix de coco. Ces singes sont des ouvriers agricoles précieux, dans un pays où la noix de coco constitue une importante culture vivrière.

 

o ! Ao ! Le cri résonne à travers le champ de cocotiers. Soudain, perché sur les cimes fragiles formées par les feuilles glissantes, un singe saute dans le vide. Il se rattrape in extremis à l'une des feuilles d'un arbre voisin. "Ao ! Ao !" Le cri se répète encore. Le singe s'active le long du tronc et part décrocher une noix de coco toute verte. Cramponné sur l'arbre, il fait tourner le fruit sur lui-même avec deux pattes. Bientôt, la tige lâche. Le fruit tombe à terre dans un bruit lourd. "Ao ! Ao!" : bref et rauque, le cri semble électriser l'animal. Il vient de beaucoup plus bas. Un petit homme costaud le lance à plein poumon, la tête tordue vers le ciel, les yeux rivés sur le singe qui s'active vingt mètres plus haut.
Les noix de coco s'écrasent rapidement au sol. Toutes sont mûres, prêtes à être embarquées dans les pick-ups de l'exploitation pour être vendues à l'usine du coin. Fruits à tout faire, les noix de coco sont extrêmement importantes dans l'économie locale. La pulpe peut être pressée pour faire de l'huile. On peut aussi la râper pour l'utiliser dans les préparations culinaires ou encore la sécher pour ensuite nourrir les poules. L'écorce sert à faire des instruments de cuisine, la fibre est tressée pour fabriquer de la corde... Même le bois des arbres trop vieux pour donner des fruits est récupéré par l'industrie du meuble...
Une école unique en Thaïlande
En Thaïlande, la culture de la noix de coco fait donc vivre des milliers d'agriculteurs. Saekhow était l'un d'entre-eux. Mais depuis quinze ans, ce Thaïlandais délaisse ses plantations pour une occupation qui a désormais fait de lui un riche homme d'affaires. Un coup de génie : Saekhow est devenu dresseur de singes récolteurs. Les animaux, des macaques à queues de cochons et à poil court, affluent de toutes les provinces. Moyennant 15,000 baths (4,000 FF), Saekhow leur apprendra les techniques indispensables à la récolte. Les propriétaires pourront ensuite utiliser leurs animaux sur leurs propres exploitations ou les louer à d'autres fermiers. Le but est simple : gagner de l'argent. Et accessoirement alléger le travail pénible des ouvriers agricoles.
Le travail d'apprentissage, concocté par Saekhow dans cette école unique au monde, est :long, parfois dangereux : "Ces animaux sont agressifs à leur arrivée à l'école. Ils sont capturés dans la jungle, à l'état sauvage. Un singe en captivité ne sait pas grimper aux arbres. Je ne peux rien leur apprendre. Les singes sauvages sont évidemment plus dangereux. Ils peuvent mordre et griffer profondément. Mais ce sont aussi de bien meilleurs élèves" explique Saekhow. Sa femme et sa fille ne s'approchent d'ailleurs jamais des animaux. Tout juste osent-elles leur tendre deux fois par jour bricks de lait, plats de riz et fruits. Un régime de faveur pour des animaux rentables et chouchoutés.

 

Mille noix de coco par jour
En six mois, ces singes âgés d'un an deviendront des professionnels. Ils sauront choisir les noix de coco mûres, les détacher, sauter d'un arbre à l'autre pour gagner du temps, redescendre à terre pour charger les fruits dans les camions ou encore aller récupérer des noix de coco tombées dans l'eau, une technique bien pratique pour les nombreuses exploitations de bord de mer... En sortant de l'école, un singe peut récolter jusqu'à mille noix de coco par jour. Les usines achètent 40 baths (dix francs) les cent fruits. Le coût de l'école de Saekhow représente un investissement majeur pour les agriculteurs thaïlandais. Mais les revenus s'annoncent aussi particulièrement juteux.
Pour Saekhow, l'affaire est tout aussi intéressante. Il brasse aujourd'hui des millions de baths. L'homme n'a pourtant rien inventé : en Asie du sud-est, les singes sont utilisés depuis des lustres pour la récolte de noix de coco. La tradition se perdait doucement. Jusqu'à ce que Saekhow décide d'ouvrir son "école professionnelle". Il est aujourd'hui devenu une star. Les équipes de télé du monde entier se pressent dans son école, assurées de réaliser des images impressionnantes. Car Saekhow sait se mettre en scène. Dès qu'un visiteur pointe son nez, Saekhow file se changer. De petites bottes de caoutchouc bleues, un short usé, une chemise rapiécée et un petit chapeau composent son adorable uniforme de scène. Il remise les 4x4 au garage et sort sa mignonne mobylette. Les singes grimpent sur le porte-bagage puis viennent se faire câliner par leur dresseur. Saekhow a depuis longtemps compris que les vedettes de son école ne sont pas seulement les macaques. L'homme aime répéter qu'il a beaucoup appris au contact des singes. Une chose est sûre : il est devenu aussi malin qu'eux.

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