Emmanuel Dunand,
Photographe régional à l'AFP Bangkok
- Comment êtes-vous devenu journaliste ?
- J'avais vingt ans et je terminais ma license de bio à
Toulouse. Un soir, je regardais un match de rugby à la
télé. J'ai vu tous ces photographes sur le terrain. Ca
m'est soudain apparu comme une évidence : je voulais
moi-aussi devenir photographe. Le lendemain, j'arrêtais
la bio pour m'inscrire dans une école de photographie
privée à Toulouse. J'ai bossé comme liftier à la Tour
Eiffel l'été et chez Motorola pendant l'année pour me
payer les frais d'inscription.
- Quel a été votre parcours depuis ?
- Finalement, j'ai rapidement quitté cette école qui ne
me plaisait pas du tout. Je voulais partir à l'étranger
faire du reportage. J'avais un rêve : faire les
marchands de sel au Tibet. Mais juste avant que je prenne
ma décision, je vois un reportage de six pages dans VSD
! Alors j'ai pris un billet pour l'Afrique du sud et je
me suis acheté un peu de matériel. J'ai tout quitté.
J'avais 21 ans.
- Vous êtes resté combien de temps ?
- Un an et demi. J'y ai tout appris sur la photo. Le pays
était sans cesse sous état d'urgence. J'ai commencé à
vendre mes photos à AP (Assiocated Press) et à Reuters.
Puis l'agence photo française Cosmos a commencé à
diffuser mes photos. Et là; je suis tombé fou amoureux
d'une Zimbabwéennne. Je l'ai suivie à Londres et à Los
Angeles. Je ne faisais plus rien en photo... Finalement,
on s'est quitté et je suis rentré à Paris. Je faisais
de la photo de mode, pour les Studios de la main d'or,
Jeune et Jolie, le Jardin des Modes... Je me suis fait un
peu d'argent mais je m'ennuyais. Mon meilleur ami était
sur Bangkok. Je suis parti travailler là-bas pendant une
année. Là, ça commençait à bien marcher pour moi.
Fin 1992, je commençais à avoir un bon portefolio. Un
copain m'a parlé de l'AFP. La chef de la photo du bureau
de Hong Kong m'a proposé de passer la voir. Je lui ai
plu.
- Et là, vous êtes resté à l'AFP...
- Oui et non, car je suis tombé malade. J'ai donc dû
arrêter pour rentrer en France. La chef de Hong Kong
m'avait dit de ne pas hésiter à passer à l'AFP Paris
pour présenter mes photos. Ce que j'ai fait. Ca a
marché. Ils m'ont d'abord pris un mois en remplacement,
puis une année, comme photographe.
- Et là, vous êtes resté à l'AFP...
- Non car j'ai rencontré ma femme à ce moment... Elle
est américaine. Je suis parti m'installer avec elle
près de Boston. J'ai fait quelques reportages en Afrique
à ce moment, au Libéria, en Sierra-Leone... Un jour,
l'AFP Hong Kong m'a appelé pour me proposer un poste de
photographe éditeur. Cela signifie que lorsque que tu
n'es pas en reportage, tu fais de l'éditing sur le desk.
Ca m'intéressais vraiment. Je suis parti pour Hong Kong
où je suis resté un an.
- Et là, vous êtes resté à l'AFP...
- Oui ! Je ne l'ai plus quitté depuis ! Le photographe
local de Bangkok a démissionné. Ils ont créé un poste
de photographe régional que j'ai obtenu.
- Qu'est-ce qu'un poste de photographe
régional ?
- Je gère les photographes des pays voisins, je pars
souvent en reportage dans toute la région et je fais
aussi l'éditing photo du bureau. Le travail de
photographe d'agence est très spécifique : on n'a pas
le droit de rater l'instant. Il faut toujours être le
premier sur l'événement, on n'a pas le droit à
l'erreur. C'est très éprouvant et très excitant. Quand
il n'y a pas d'actu, je dois quand même faire une photo
par jour, minimum. Je me lève très tôt, je me promène
en ville avec mes appareils à la recherche d'un beau
cliché.
- Avec quel matériel travaillez-vous ?
- Avec l'AFP, j'ai tout... Je travaille avec du Canon,
car c'est extrêmement rapide. Mon sac photo pèse quinze
à vingt kilos. Dans certains pays, je dois faire les
développements moi-même. J'installe une chambre noire
dans la salle de bains. Quand il n'y a pas de courant, je
dois trouver de l'essence et un générateur. Je choisis
les meilleurs clichés puis je les scanne avec mon
ordinateur portable et je les envoie enfin par modem à
Hong Kong.
- Quel est votre pire souvenir ?
- J'étais au Cambodge. Nous devions suivre le numéro
deux du pays dans un coin reculé du pays. Il y avait une
horde de journalistes et de photographes. Il fallait se
battre pour entrer dans les hélicos qui devaient nous
emmener sur place. Une sale ambiance... Je suis arrivé
à temps pour prendre les clichés. Mais je suis
retourné en Thaïlande par voiture. Mes concurrents d'AP
et de Reuters, qui étaient de nationalité thaïe, ont
pu passer le poste-frontière le plus proche. Pas moi et
j'ai dû faire un gros détour. Ensuite, il n'y avait
plus d'électricité à l'hôtel alors que je devais
développer et transmettre mes photos. L'unique
téléphone était pris d'assaut par des meutes de
journalistes. C'est vraiment frustrant : j'avais les
photos mais je n'arrivais pas à transmettre. Au finish,
j'avais quatre ou cinq heures de retard sur les autres
agences. Vraiment un mauvais souvenir...
.- Votre meilleur souvenir ?
- Ce que je vis tous les jours... La surprise,
l'instant... Et peut-être aussi la première fois où
l'une de mes photos a fait la Une du Herald Tribune.
C'était le jour de mon anniversaire.
- Qu'avez vous envie de faire par la suite ?
- Je viens de refuser un poste AFP à New York. Il n'y a
pas assez d'actu. J'aimerais avoir un autre poste en
Asie. Plus tard, je reviendrai peut-être aux Etats-Unis.
L'Amérique latine me fait aussi envie. Mais pas la
France.
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