Vietnam

Hanoï, le 18 mai 1997


Vietnarama

Le Vietnam est devenue l'une des destinations mode depuis son ouverture vers l'étranger. On comprend vite pourquoi : la palette de couleurs et de paysages est à couper le souffle. De la zone démilitarisée aux milliers de pagodes, tragique ou charmante, l'histoire affleure. Du col des nuages à la rivière des parfums, quelques instantanés vietnamiens.

 

Douce France. Déjà, Louis XVI s'intéressera brièvement au Vietnam, royaume indépendant riche en promesses. Mais c'est avec l'avènement du Second empire que la France commencera à prêter une réelle attention à l'Indochine, au nom du commerce, de la patrie, des idéaux. Et accessoirement du catholicisme. Amen : Saigon tombe aux mains des troupes françaises en 1859. C'est le début d'une colonisation qui durera plus d'un siècle. Les églises se construisent, sans jamais vraiment menacer le bouddhisme, largement majoritaire. Surtout, l'affaire se révèle diablement rentable. Les Français exploitent fiévreusement les mines de charbon, d'étain, de tungstène, s'octroient le monopole sur l'alcool, le sel et l'opium et mettent sur pied d'immenses plantations de thé, de café et de caoutchouc. Forcément, les Vietnamiens se lassent rapidement. Envoyés en France pour y étudier, certains, comme Ho Chi Minh, y découvrent la liberté politique. L'hostilité à l'égard des Français s'accroît. Les mouvements nationalistes essaiment. Le leadership d'Ho Chi Minh émerge. La seconde guerre mondiale éclate. Les Japonais débarquent. La France récupérera son territoire en 1946, pour mieux le perdre ensuite. Car la soif d'indépendance est désormais trop importante pour que la France puisse la contrôler. En novembre 1946, Haiphong est bombardée sous d'obscurs prétextes. Des centaines de civils meurent. Quelques semaines plus tard, le Viet Minh communiste de Ho Chi Minh riposte à Hanoï. Le conflit éclate, il durera huit ans. La claque finale aura pour cadre Dien Bien Phu. Le 7 mai 1954, après un siège de 57 jours, plus de 10.000 soldats français à moitié morts de faim se rendent au Viet Minh. Le lendemain, les pourparlers de paix s'ouvrent à Genève. Le pays est temporairement divisé en deux : communistes au nord du 17ème parallèle. Anticommunistes au sud. Trente-cinq mille soldats français sont morts au Vietnam. Les pertes du Viet Minh sont encore plus nombreuses. Les accords de paix sont fragiles. La guerre qui s'annonce sera encore plus meurtrière. Cette fois, les Français la suivront sur leurs écrans de télévision.

 

Jeux de massacre, suite. La péninsule indochinoise n'a pas fini de payer son lourd tribut à l'histoire... Impossible de l'ignorer au Vietnam, où s'affichent toujours les cicatrices de la guerre du même nom. Dès 1959, le Viet Minh commence ses opérations de déstabilisation du sud Vietnam. En 1964, la situation de Saigon est désespérée. Les Américains, grands pourfendeurs de communistes devant l'éternel, débarquent alors. Les bombardements sur le nord-Vietnam commencent. Ils affecteront bientôt toutes les routes, tous les ponts et 4000 des 5788 villages de la zone. Quatre millions de civils seront blessés ou tués. Parfois, les Américains évacuent les villageois, déclarent la région « zone de feu à volonté » et déclenchent un tonnerre de bombes, de napalm, d'artillerie et tanks. Souvent, le tonnerre éclate sur les populations qu'on ne prend pas la peine d'évacuer... L'enfer a existé au Vietnam. La nature, qui n'a pas repoussé dans certaines zones, en constitue l'un des témoignages les plus évidents. Aujourd'hui encore, les buffles paissent au creux de cratères géants. Un territoire charcuté... Quel terme employer pour décrire le drame de la population ? Massacre ? Les communistes vietnamiens ne plient pourtant pas. Près de soixante mille soldats américains trouveront la mort dans le « bourbier vietnamien », comme l'appelle désormais la presse anglo-saxonne. En 1973, les Etats-Unis jettent l'éponge et commencent à retirer progressivement leurs troupes. En 1975, le dernier acte se joue à Saigon, qui tombe aux mains des communistes. Les derniers occidentaux fuient dans un invraisemblable ballet d'hélicoptères. La population du sud-Vietnam, hostile aux communistes, panique et tente aussi de fuir. Des grappes humaines s'accrochent aux hélicoptères. Le lendemain, le Vietnam est communiste. La purge peut commencer. Personne n'oubliera la tragédie. Le Vietnam et les Etats-Unis sont aujourd'hui réunis dans un même souvenir. Le plus terrible qui soit.

Hué la magnifique. Les années de guerre ne sont jamais loin. Mais à Hué, l'ancienne capitale impériale du Vietnam, il faut beaucoup d'imagination pour imaginer l'enfer qu'on pu vivre les habitants. Car ici, tout ne semble plus que douceur. Clapotis tranquilles de la rivière des Parfums, urbanisme verdoyant de la cité impériale, bassins d'eau ombragés à travers toute la cité, potagers en centre-ville, vendeurs de mangues juteuses à tous les coins de rue. Hué se parcourt à vélo, en compagnie des milliers de Vietnamiens qui se baladent tranquillement. La cité fut construite selon les principes de géomancie : « Tout est d'un équilibre parfait, c'est un exemple d'urbanisme intelligent » se réjouit Sabrina Schliwanski, la déléguée permanente du Conseil régional Nord Pas-de-Calais à Hué. Aujourd'hui, la collectivité territoriale se bat notamment pour que ce patrimoine du XIXème siècle soit conservé en l'état. Pas évident quand les désirs de développement économique tiraillent tant un pays. Et en dépit de l'apparente sérénité du lieu, la tension peut rapidement grimper : des escarmouches étonnamment violentes entre les Vietnamiens, des contrôles de policiers vraiment pas amènes, des cyclistes qui bousculent gratuitement des étrangers, les services de censure de la poste qui fouillent consciencieusement le moindre colis... Une agressivité qu'on retrouve partout ailleurs au Vietnam, plus ou moins palpable. Une agressivité que certains expatriés, comme Pascale Trouillaud de l'AFP à Hanoï, attribuent notamment aux années de violence qui ont marqué ce peuple. Les échines se sont longtemps courbées. Mais la population n'a jamais plié.

 

Hanoï, cap sur l'économie libérale. En 1986, le Vietnam a mis fin à sa politique d'isolement économique. Le pays bouge, doucement, ouvrant la porte aux investisseurs étrangers. Saigon, la renégate historique, se lance évidemment dans la course, avec sa cohorte d'hommes d'affaires entreprenants. Haut lieu de la révolution, Hanoï la rigoriste mettra plus de temps à se convertir. On n'abrite pas impunément la dépouille d'Hô Chi Minh en ses murs. Mais après vingt ans d'isolationnisme, les Vietnamiens ont eux aussi envie de se lancer dans la société de consommation. A Saigon comme à Hanoï. Les investisseurs étrangers ne mettront vraiment pas longtemps à flairer le filon. Certains misent sur un développement à long terme. D'autres regrettent déjà leur implantation, faute d'un marché suffisant. Car, dans ce pays, qui reste l'un des plus pauvres du monde, tout le monde ne peut pas profiter de la récente croissance économique. Le schéma est classique : quelques uns font des fortunes rapides et concentrent en leurs mains l'essentiel de la richesse produite. A Hanoï, les privilégiés peuvent désormais téléphoner Erickson, pianoter IBM, manger Bask'n'Robbins et se réveiller Swatch. Aux autres, il reste le maigre quotidien. Et peut-être aussi l'espoir.

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