Laos & Vietnam

Hué, le 18 mai 1997


Ecole :
Le français contre attaque

 

Guerre des langues au Laos et au Vietnam : des organismes publics et privés français contrent l'influence grandissante de la langue anglaise en finançant des classes bilingues en français. En choisissant la fine fleur des élèves dès l'école primaire, les financeurs espèrent contribuer à former de futures élites destinées à favoriser les intérêts français au Laos et au Vietnam. « L'anglais est la langue de l'avenir, le français celle du souvenir... » : les Français ne veulent pas s'y résigner.

Les pionniers du programme. Ils sont vingt-cinq, penchés sur leurs bureaux flambants neufs. Luxe rare dans les écoles du Laos. Dans les salles voisines, l'instituteur fait face à une cinquantaine de gamins, entassés sur des bancs branlants. Eux n'ont pas été sélectionnés pour suivre l'enseignement des classes bilingues financées par l'ambassade de France au Laos. Un programme qui comprend sept heures de français par semaine, en plus du programme officiel lao. Les cours sont placés sous l'égide d'instituteurs formés une année à l'IUFM de Grenoble et payés par l'ambassade. Dans ces classes de luxe, on compte 25 enfants, pas un de plus. « Je suis parti, tu es parti... » Le français est parfois hésitant. Il faut dire que les gamins ont à peine dix ans. Ils sont en CM1 et entament leur deuxième année en classe bilingue. Ce sont les pionniers du programme : ils sont les premiers à voir été autorisés par le ministère de l'Education lao à suivre ces cours spéciaux. Tout a débuté en septembre 1995, avec l'ouverture de deux classes bilingues dans deux écoles primaires de Vientiane. De nouvelles classes ouvriront au fur et à mesure de l'avancement scolaire de ces enfants, qui suivront le collège puis le lycée dans les mêmes conditions. L'objectif : accueillir cent élèves par an en début de cursus (fixé au CE2 par le ministère de l'Education) et les mener jusqu'à la terminale. L'ambassade se charge de leur assurer des professeurs compétents et le matériel pédagogique nécessaire.

 

Elite : un métier d'avenir. Pourquoi avoir basé ce programme à Vientiane ? « On y trouve les meilleures écoles du pays. Notre objectif est de sélectionner les meilleurs élèves et de former au français de futures élites » résume Yves Cornette, l'attaché linguistique en charge. Le responsable a le mérite d'être clair : l'ambassade ne dépense pas des centaines de milliers de francs dans ces écoles sans en attendre des résultats tangibles. Dans un pays marqué par près d'un siècle de colonisation française, les Français ont vu débarquer d'un sale oeil des investisseurs anglo-saxons, japonais et australiens. Langue dominante: l'anglais. C'était sans compter l'héroïque résistance de l'ambassade, qui ne laissera pas la langue de la perfide Albion débarquer impunément en territoire de feu « l'Indochine française »... L'ambassade a contre-attaqué et placé ses hautes ambitions sur les meilleurs élèves laotiens, sélectionnés au terme d'un concours basé sur des tests psychologiques. Le résultat est édifiant : ici, les fils et les filles de cadres du Pathet Lao (le parti communiste local). Là, le neveu et le fils de l'instit. Ici, quand même, les six fils et filles d'ouvriers que comptent les deux classes. L'égalité des sexes est sauve, conformément aux voeux de l'ambassade : « garçons et filles en nombre égal, à une unité près ». Tous seront formés au français, envoyés ensuite dans les universités françaises. De retour au Laos, comment pourraient-ils ne pas favoriser la douce France, au niveau économique et diplomatique ?

Au Vietnam de nombreux financeurs. Même souci de rapprochement des peuples au Vietnam voisin. Cette fois, l'ambassade finance les classes bilingues dès la maternelle. « Les enfants ont trois ans et ils parlent déjà d'élites ! » s'amuse une étudiante française venue évaluer les programmes de francophonies au Vietnam. Plusieurs villes du pays sont concernées. Ainsi, à Hué, l'ancienne capitale impériale située en centre-Vietnam, les projets (et les réalisations) ne manquent pas. L'ambassade, mais aussi l'Aupelf-Urev (organisme destiné à la promotion de la francophonie), le Conseil régional Nord Pas-de-Calais (au nom de la coopération décentralisée) et la Codev (réseau d'associations monté par des salariés d'EDF) financent plusieurs programmes destinés à favoriser la francophonie à l'école. Accueil de jeunes enfants en classe de français en dehors des programmes scolaires, bibliothèques francophones, projet de ludothèque francophone... Les projets foisonnent. Et on retrouve bien sûr les classes bilingues. Les programmes ont démarré cette fois en parallèle, à tous les niveaux. A l'école primaire, dès le CP. Au collège, dès la sixième. Et au lycée, dès la seconde. Dans trois ans, ce programme bilingue lancé en 1995 devrait concerner tout le cursus. En clair : un enfant entrant au CP, ou même à la maternelle, devrait pouvoir achever sa scolarité bilingue, à raison de douze heures de français par semaine.

 

La planète des pédagogues planants. A l'école primaire Le Loï, la dynamique institutrice est toute réjouie : « Les conditions d'enseignements sont idéales. Nous avons une magnifique salle audio qui s'avère très utile. Et les enfants ne sont que 28 par classe. Un bonheur pour une enseignante ». Seul regret : le choix du manuel scolaire. « Les textes sont très beaux, mais ils ne permettent pas de développer le langage courant ». Morceau choisi : « Sur la planète des nuages gourmands, c'est la fête des étoiles. On monte sur le bateau de la lune. On descend par le grand toboggan. On attrape le chapeau du soleil ». Une pédagogie planante... Les enfants, âgés de huit ans, rigolent en coin. A quelques kilomètres, au collège de la Réunification de Hué, les résultats sont également impressionnants. Après deux années de français, les 163 élèves des classes bilingues peuvent maintenir une petite conversation. Ils semblent maîtriser les arcanes de la grammaire et peuvent résoudre des exercices de maths en français. Le directeur n'arrête pas de s'en féliciter : « Ce sont nos meilleurs élèves. Brillants ! » Pour les autres, il reste la normalité, en anglais. Ils suivent trois ou quatre heures d'anglais par semaine, selon le niveau. Le directeur a t-il songé à développer des classes bilingues anglais ? « Il n'y a pas les financements... » Sourires. Pourquoi avoir choisi le français ? « Il y a des financements ». Sourires. Le directeur se détend et explique : « De toute façon, ce n'est pas moi qui décide. C'est notre gouvernement. » Derrière le bureau s'élèvent les statues d'Ho Chi Minh, la star de l'histoire du Vietnam. Ses photos. Et une affichette, placée bien en évidence : « L'oncle Hô vit toujours dans notre oeuvre ». En français dans le texte.

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